Les Autorités ivoiriennes tablent sur les projets gaziers et solaires pour accroître le mix énergétique et, in fine, mettre un terme aux difficultés que traverse le secteur énergétique, actuellement en proie à de trop fréquentes coupures d’électricité. Analyse sectorielle.
Par Kouza Kiénou
Le secteur ivoirien de l’électricité a fait un bond remarquable ces dix dernières années, porté par des investissements de 1700 milliards de francs CFA (environ 2,6 millions d’euros) en faveur de la production, du transport et de la distribution d’électricité. Grâce à ces efforts, la production électrique a plus que doublé entre 2011 et 2023, passant de 1 400 MW à 2 907 MW. En parallèle, le temps annuel moyen de coupure a chuté de 47 à 29 heures l’an passé. « Le modèle ivoirien, basé sur les PPP [partenariats public-privé, NDLR], a fait ses preuves, en facilitant l’investissement privé, estimé à 1000 milliards de francs CFA [1,5 million d’euros, NDLR] », observe Abdoul Hien, directeur général pour l’Afrique de l’Ouest et centrale d’Aggreko, groupe britannique spécialisé dans les solutions d’énergie. De fait, si certains projets ont été retardés par la pandémie de Covid-19, comme le projet solaire photovoltaïque de Boundiali, d’autres ont bien progressé, comme la centrale thermique au gaz naturel Atinkou (390 MW), le barrage hydroélectrique de Gribo-Popoli, et plusieurs centrales solaires.
Objectif : L’Accès de Tous à l’Électricité
Pionnier de l’hydroélectricité, le pays veut accélérer son mix énergétique. Près de 500 MW de projets solaires sont en cours, pour une enveloppe estimée à 600 millions d’euros. « Avec la nouvelle génération du système de stockage solaire, cette solution peut être un accélérateur de la mixité énergétique. Il s’agit d’une nouvelle approche de l’électrification qui consiste à produire et à distribuer l’énergie là où les ménages ne peuvent recourir au réseau classique qui impacte le coût du kilowattheure. L’accès universel à l’énergie passe aussi par ces solutions permettant de réaliser des investissements rentables à court terme tout en assurant la fourniture de l’électricité aux ménages et aux industries », explique Christophe Tougri, cofondateur d’AliothSystem Energy, PME spécialisée depuis 2016 dans la fourniture d’énergie solaire. En Côte d’Ivoire, 25 % des capacités électriques proviennent des sources d’énergies renouvelables, notamment le gaz. « Dans le même temps, c’est un secteur dont les enjeux sont cruciaux », souligne le ministre des Mines, du Pétrole et de l’Énergie Mamadou Sangafowa Coulibaly, qui ajoute : « L’énergie est indispensable à la production de biens et services nécessaires au développement. Nous disposons d’un système de distribution électrique viable avec 7 500 localités électrifiées. Le taux de couverture a bondi de 33 à 80 % avec l’objectif d’atteindre 100 % dans les années à venir ». Une ambition aux allures de facture salée qui requiert donc un investissement de 5 000 milliards de francs CFA (environ 7,2 millions d’euros) d’ici à l’horizon 2030. Ces ressources vont permettre d’accélérer l’exploitation des champs gaziers, ainsi que la construction de gazoducs et de centrales, avec en ligne de mire l’accès de tous à l’électricité.
« En Côte d’Ivoire, 25% des capacités électriques proviennent des sources d’énergies renouvelables, notamment le gaz »
Sébastien Kadio-Morokro : « Nous poursuivons notre expansion régionale »
Depuis Abidjan, le patron de Pétro Ivoire, spécialiste de la distribution de produits énergétiques (carburant et gaz), scrute de près les opportunités d’investissements domestiques et surtout régionales.
Interview publiée dans l’Édition N°80 – Propos recueillis par Kouza Kiénou
Forbes Afrique : Les revenus de Pétro Ivoire ont décuplé en dix ans. Comment se porte aujourd’hui l’entreprise ?
Sébastien KADIO-MOROKRO : Pétro Ivoire – 190 milliards de francs CFA de bilan [environ 289 millions d’euros, NDLR], + 10,5 % sur un an – est toujours en croissance et se porte bien, avec les contraintes liées au secteur. Nous continuons l’extension de notre réseau et nos volumes de gaz distribués sont en hausse continue. Mieux, Pétro Ivoire a réalisé son premier investissement à l’étranger, au Libéria, avec une prise de participation importante dans le capital de Miragas, leader local de la distribution du gaz. Notre projet d’expansion se poursuit, avec une réflexion forte sur la durabilité et les énergies propres, non seulement pour participer aux engagements étatiques en matière de réduction des gaz à effet de serre, mais aussi pour assurer notre responsabilité sociale.
Où en est votre projet d’implantation de bornes de recharge des véhicules électriques ?
S. K.-M. : Nous sommes bien avancés et prévoyons d’installer les premières bornes à très court terme. Pétro Ivoire entend se placer comme un fournisseur d’énergie. D’ici à l’horizon 2035, il pourrait ne plus y avoir de fabrication de véhicules à moteur thermique. Cela va impliquer un changement de business model. De plus en plus, les consommateurs s’intéressent à la mobilité électrique. Pétro Ivoire veut se positionner comme un pionnier et accompagner cet élan.
D’ici à l’horizon 2035, il pourrait ne plus y avoir de fabrication de véhicules à moteur thermique. Cela va impliquer un changement de business model.
Comment comptez-vous adapter Pétro Ivoire, qui est une entreprise familiale, à ce changement de paradigme ?
S. K.-M. : Nous devons continuer à développer le réseau de stations-service (90 actuellement), avec l’implantation progressive de bornes électriques et d’autres services, comme des garages pour les réparations rapides. Nous allons aussi poursuivre nos investissements dans le gaz butane (bouteilles, capacités d’emplissage), pour répondre aux besoins croissants. Avec 20 % de parts du marché du gaz, Pétro Ivoire possède plus 2,5 millions de bouteilles en circulation. Enfin, nous allons poursuivre notre diversification régionale en fonction des opportunités. Nos investissements sur la période 2024-2027 sont de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards de francs CFA. La levée de 30 milliards [45 millions d’euros, NDLR], réalisée fin 2023 sur le marché financier régional, nous donne les ressources nécessaires pour financer nos projets à court terme. Si nous devons réaliser des projets électriques ou des acquisitions de réseaux dans la sous-région, nous pourrions nouer des partenariats ou faire appel à de nouveaux investisseurs. L’exploitation du gaz naturel, compte tenu des besoins nationaux en matière d’électricité, pourrait nous intéresser à moyen terme, mais notre réflexion n’est pas encore mature à ce stade du projet.