L’industrie mondiale de l’intelligence artificielle (IA) a atteint 241 milliards de dollars en 2023, selon Statista. Sa part devrait augmenter de 30 % par an sur le continent jusqu’en 2030, pour atteindre plus de 15 milliards de dollars. À quel prix l’Afrique optimisera-t-elle ce nouveau potentiel numérique ?
Par Marie-France Réveillard
ChatGPT 4, Gemini ou Copilot : la jeunesse des pays du Nord s’est emparée avec frénésie des outils de l’IA générative, pour se divertir ou comme support d’apprentissage. En Afrique, l’IA reste surtout associée au “développement” et à la création d’outils à impact dans les secteurs de l’agriculture, l’éducation, le climat ou la santé. Face aux opportunités offertes par cette nouvelle révolution numérique, « le continent africain ne peut rester spectateur », assurait Chakib Benmoussa, le ministre marocain de l’Éducation nationale, le 3 juin 2024, à Rabat. Depuis quelques années, le royaume chérifien déploie les grands moyens pour challenger les géants de la Tech nigérians, sud-africains ou égyptiens. Les enjeux sont considérables, car l’IA pourrait contribuer à hauteur de 15 700 milliards de dollars (14 658 milliards d’euros) à l’économie mondiale d’ici 2030, dont 1 200 milliards de dollars (1 120 milliards d’euros) en Afrique, soit une augmentation de 5,6 % du produit intérieur brut (PIB) du continent, selon PricewaterhouseCoopers. « L’IA permettra des leapfrops qui répondront à des besoins fondamentaux, notamment dans le secteur de la santé », explique Mohamed Zoghlami, le vice-président de l’Agence francophone de l’intelligence artificielle (AFRIA), car les écarts d’offres de soins entre les pays du Nord et le « Sud global » restent criants. Alors que l’Europe compte 448 millions d’habitants, elle abrite 3,4 millions de médecins et 7,4 millions d’infirmières, contre 300 000 médecins en Afrique et 1,2 million d’infirmières pour 1,3 milliard d’habitants, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
L’IA : Levier du Dividende Démographique
Le XXIe siècle sera celui de l’Afrique, mais aussi celui de l’IA. La population subsaharienne a été multipliée par 5 entre 1960 et 2020, selon l’ONU. En 2050, un homme sur quatre sera Africain, dont les deux tiers des jeunes âgés de 15 à 24 ans. Quel rôle jouera l’IA pour transformer cette main-d’œuvre jeune et connectée en dividende démographique ? Comme l’envisagent les pères fondateurs de l’IA, l’emploi va-t-il se raréfier, voire disparaître ? L’Organisation internationale du travail (OIT) estime que l’IA devrait au contraire générer plus d’emplois qu’elle n’en détruira. Selon un rapport de Gartner – une entreprise américaine de conseil et de recherche dans le domaine des techniques avancées – publié en 2024, 500 millions d’emplois pourraient voir le jour grâce à l’IA d’ici 2033. Cependant, ce sont les économies occidentales (60 %) qui en bénéficieront avant tout, contre « seulement 26 % pour les pays à faible revenu », d’après le Fonds monétaire international (FMI). Pour profiter des nouvelles opportunités offertes par l’IA, il faudra nécessairement renforcer les compétences locales, car, à ce jour, 1 jeune Africain sur 4 ne dispose d’aucune formation, selon les Nations unies. Pour Mohamed Zoghlami, la bataille n’est pas perdue. « Le continent n’est pas suffisamment visible sur Internet, mais il est loin d’être en retard dans la course à l’innovation. De nouvelles applications apparaissent chaque jour », relativise-t-il.
« Le continent n’est pas suffisamment visible sur Internet, mais il est loin d’être en retard dans la course à l’innovation. De nouvelles applications apparaissent chaque jour »
Avec « AI Movement », le Maroc Deviendra-T-il le Hub Africain de l’IA ?
« Je n’en reviens pas que les Africains soient si passionnés par l’IA », s’étonnait Yue Sun, le cofondateur de la société chinoise CodeMao (qui propose des solutions d’EdTech appuyées par l’IA), le 4 juin dernier, lors du Forum de haut niveau sur l’IA organisé par IA Movement, sur le campus de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) de Rabat. Créé en 2021 par l’UM6P, le Centre international d’intelligence artificielle du Maroc (AI Movement) se positionne aujourd’hui comme un hub de référence. Le 3 juin 2024, en signant un partenariat avec l’UNESCO et le ministère de l’Éducation nationale du Maroc, AI Movement devenait un centre d’excellence IA de catégorie 2, le premier d’Afrique. Pour Amal El Fallah Seghrouchni, la directrice exécutive de AI Movement, le Maroc a tous les atouts pour s’imposer comme « la locomotive de l’IA en Afrique, grâce à sa stabilité politique millénaire et au soutien actif des autorités ». Le pays dispose par ailleurs de l’African Supercomputing Center (datacenter) d’une capacité de 3,15 pétaflops (3 millions de milliards d’opérations/seconde), qui le place au 26e rang mondial en termes de puissance de calcul, et à la première place en Afrique. « L’essor de l’IA dépendra du renforcement de nos capacités or, les étudiants marocains s’illustrent brillamment aux concours des meilleures écoles d’ingénieurs, comme Polytechnique », ajoute-t-elle, optimiste. La voix du Maroc dans le secteur de l’IA a déjà dépassé les frontières nationales et les formations dispensées par l’UM6P attirent chaque année un nombre croissant d’étudiants africains…