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Le football africain en mal d’écrin

sylvère grande

L’agriculture, l’énergie, les services financiers, la grande distribution, les nouvelles technologies sont quelques exemples de secteurs qui suscitent la convoitise des investisseurs et qui promettent un bel avenir au financement de la croissance en Afrique. Cependant, malgré son énorme potentiel, le football business reste en marge de cette dynamique.

Les raisons sont multifactorielles. Pour ne pas se perdre en conjectures, il convient d’en identifier la source : le stade. L’enceinte sportive est le principal creuset des maux et cristallise la problématique. Et cela pour une raison essentielle : la déplorable expérience des spectateurs lors des rencontres.
Cela commence par la difficulté d’additionner les publics différents. Le spectateur lambda à la recherche d’un divertissement familial est difficilement compatible avec le fan inconditionnel obsédé par la victoire. Sans compter l’animation du stade par les chants agressifs des ultras. Sans les excuser, la violence de ces derniers est exacerbée par les embouteillages monstres aux abords du stade, l’entrée laborieuse et confuse dans l’enceinte, l’attente de plusieurs heures sous le soleil dans des bâtiments aux commodités souvent défaillantes. Toutes ces conditions réunies impactent sensiblement l’accroissement des violences verbales, voire même physiques. En cascade, ces comportements excessifs renforcent le sentiment d’insécurité, peu propice au développement du spectacle sportif indispensable à une exploitation commerciale du football.
Ces sujets entrent en résonance avec des problématiques d’urbanisme et des interrogations sur la place du stade dans la vie de la cité. En tout premier lieu, il ne fait aucun doute que la construction d’un stade relève du régalien. Néanmoins, son modèle économique doit s’inscrire dans un partenariat public-privé. Sa gestion doit être confiée à un prestataire privé, à la compétence certifiée et à la responsabilité sociale et environnementale engagée. En effet, un grand stade se doit aussi d’être un lieu de vie pour le grand public. Avec un impératif : dynamiser une ville, en offrant à la population en annexe de la pratique de haut niveau des services gratuits ou peu chers. C’est à ce prix qu’il peut vivre sept jours sur sept.
Le modèle d’exploitation commerciale des stades intégrant, comme aux États-Unis ou en Europe, bureaux, services et hôtels est difficilement reproductible sur le continent. Pour des raisons économiques bien sûr, mais surtout pour ce que le stade représente dans l’histoire du continent. Son image en Afrique est étroitement imbriquée avec la construction des consciences dans la période des indépendances. Le stade a toujours joué un rôle crucial dans le renforcement des identités nationales. Nous devons l’exemple le plus récent à Nelson Mandela. Il avait compris le parti qu’il pouvait tirer de son utilisation lors des Coupes du monde de rugby et de football en Afrique du Sud. Il reste donc un long travail de persuasion à faire auprès des dirigeants pour passer d’une utilisation politique à un usage marketing.
Le développement du business autour des sports modernes, le football en tête, a toujours été lié aux périodes de forte croissance économique. Que ce soit dans l’Angleterre victorienne ou pendant les Trente Glorieuses en Europe, le sport business, plus particulièrement le football, a toujours épousé les cours de la Bourse. La vente des droits de diffusion du football anglais en 2016 pour 2,3 milliards d’euros, à un moment où la City était au plus haut, est une autre démonstration, qui conduit aujourd’hui la Premier League sur le toit de l’Europe avec deux finales de coupe entièrement anglaises, Chelsea-Arsenal en Ligue Europa et Liverpool-Tottenham en Ligue des champions. Une première dans l’histoire du football.
À l’heure où tous les regards seront rivés sur l’Égypte et la CAN 2019, nous pouvons nous interroger sur l’exception africaine. Si le sport business ne décolle pas sur le continent, est-ce à dire que la croissance tant vantée est un leurre ? Ou pire : elle ne serait que le signe d’une victoire à la Pyrrhus, avec une croissance qui laisserait en marge de sa dynamique l’éducation, l’accès à la santé et la culture, indispensables au développement.

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