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Une Coopération Inédite Autour de la Vallée du Fleuve Sénégal

Une Tribune d’Emmanuel Leroueil, Par Emmanuel Leroueil, Directeur Général du Think Tank Performances Institute


La vallée du fleuve Sénégal est un corridor hydrologique, agricole et énergétique long de 1 800 km. Cet écosystème naturel a donné lieu à une coopération multilatérale inédite entre quatre pays africains – le Mali, la Mauritanie, le Sénégal et la Guinée Conakry –, structurée dans le cadre de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), créée en 1972. 

Cette coopération panafricaine a eu un impact concret en améliorant la trajectoire de croissance des quatre pays concernés : les centrales hydroélectriques de Manantali (200 MW, soit le tiers de la production d’électricité malienne), Félou (62,3 MW) et Gouina (140 MW) ; les 1 500 km de ligne haute-tension de 225 kV, qui a créé les conditions d’un marché d’échanges commun entre le Mali, le Sénégal et la Mauritanie ; le barrage anti-sel de Diama, qui permet de canaliser l’eau douce du fleuve vers des canaux d’irrigation de terres agricoles ; la réalisation d’infrastructures de pêche et d’irrigation agricoles. 

Près de 1 000 milliards de francs CFA (1 milliard d’euros) d’investissements ont été mutualisés et mobilisés dans le cadre de cette coopération qui, incontestablement, a doté les pays membres des meilleures infrastructures énergétiques et agricoles dont ils disposent jusqu’à nos jours.


Une Nouvelle Ambition Agricole et Industrielle

Aujourd’hui, une nouvelle phase d’investissement et de coopération est non seulement possible mais nécessaire, pour faire face aux nombreux défis économiques, sociaux et politiques du Sahel. Le fleuve Sénégal est la porte d’entrée du Sahel, vaste domaine géoclimatique semi-aride chaud, qui traverse l’Afrique d’ouest en est à travers 16 pays. Cette zone, théâtre de plusieurs foyers de tensions – sécuritaires, alimentaires, de migrations humaines non régulées –, pourrait à l’avenir devenir un foyer d’innovation et de prospérité jouant un rôle d’équilibre sur la scène continentale et mondiale. 

Jouissant d’une stabilité institutionnelle particulière, le Sénégal et la Mauritanie (pays frères et amis) ont un rôle particulier à jouer pour initier une nouvelle ambition agricole et industrielle de cette vallée, à laquelle pourront se rallier ensuite les autres pays de la région. 

« Le fleuve Sénégal est la porte d’entrée du Sahel, vaste domaine géoclimatique semi-aride chaud, qui traverse l’Afrique d’ouest en est à travers 16 pays. Bien que théâtre de plusieurs foyers de tensions – sécuritaires, alimentaires, de migrations humaines non régulées –, cette zone pourrait devenir un foyer d’innovation et de prospérité jouant un rôle d’équilibre sur la scène continentale et mondiale »


Exploitation Commune du Gaz 

L’ambition industrielle, tout d’abord, pourrait se construire autour de l’exploitation commune du gaz et du phosphate. Le Sénégal et la Mauritanie partagent l’exploitation du champ gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA), qui entre en production fin 2024. Chaque pays dispose d’ores et déjà d’un quota d’environ 35 mmscf/jour de gaz pour répondre à ses besoins de consommation nationale. Pour l’instant, il est essentiellement prévu d’alimenter des centrales thermiques à gaz. 

Il est cependant possible de voir plus loin et de bâtir, via des économies d’échelle et une mutualisation des besoins et des débouchés, une politique industrielle utilisant l’azote pour produire de l’ammoniac et des phosphates azotés. Cela nécessiterait sans doute de mettre en commun des infrastructures de séparation et de stockage de gaz dans la zone de Saint-Louis à Ndiago. À l’avenir, il pourrait être envisagé d’y bâtir une zone industrielle franche commune aux deux pays et attirant des industries utilisant du gaz dans leur processus de production. 


Un Hub Industriel de Production de Phosphates

L’autre matière première commune aux deux pays est le phosphate. Le Sénégal dispose, à proximité de Matam, d’un gisement aux réserves prouvées de 40 millions de tonnes, avec une teneur moyenne de 28,7 % de P2O5. De son côté, la Mauritanie dispose d’un gisement de phosphate à Bofal ayant des réserves prouvées de 70 millions de tonnes avec une teneur moyenne de 21 % de P2O5. Sur la rive opposée à Matam, côté mauritanien, des ressources d’environ 150 000 tonnes ont été identifiées, avec des couches de roches phosphatées présentant des teneurs moyennes de 26 à 28 % en P2O5. Tous les industriels du secteur s’accordent à considérer que le potentiel réel du gisement est bien supérieur à ces réserves déjà prouvées. 

Grâce à la ligne de transport d’électricité de l’OMVS, la zone bénéficie déjà d’un accès direct à de l’énergie propre, la ligne de transport haute tension passant par Matam. Pour en faire un véritable hub industriel de production de phosphates, deux choses manquent encore : faire venir du gaz à coût compétitif sur le site pour transformer le phosphate brut en engrais phosphaté ; et disposer d’un corridor logistique efficace pour évacuer la production d’engrais vers les centres de consommation internes de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la Mauritanie, ainsi que vers les marchés externes via une connexion à une infrastructure portuaire. 

Dans ce cadre, le projet de dragage du fleuve Sénégal porté par l’OMVS revêt un caractère particulièrement stratégique. En améliorant la navigabilité du fleuve au moins 10 mois sur 12, il serait possible d’apporter jusqu’à Matam, via des barges, des sphères contenant du gaz compressé destiné à être transformé. En retour, les engrais produits à Matam pourraient être acheminés vers le Mali, le Sénégal et la Mauritanie via le fleuve Sénégal, et accéder au port de Ndiago en Mauritanie pour être exportés à l’international. 

Au-delà de la production d’engrais phosphatés, le hub sénégalo-mauritanien pourrait s’imposer comme un centre de savoirs dédié à l’étude des sols agricoles de la vallée du fleuve Sénégal pour calibrer les mélanges particuliers d’engrais nécessaires à leur enrichissement. Basé sur de petits laboratoires d’analyse pédologique essaimés le long du corridor agricole de la vallée, un tel centre jouerait un rôle déterminant pour l’augmentation de la productivité agricole à l’hectare, mais aussi celle de la production disponible de céréales et de fourrages pour le cheptel. Enfin, il contribuerait à l’amélioration des revenus des populations rurales sahéliennes. 

Cette ambition est à portée de main. Bien coordonnée, l’action collective réunissant les États de Mauritanie et du Sénégal, leurs secteurs privés et les entreprises internationales partageant cette vision, peut faire émerger ce hub, transformateur pour l’économie de la sous-région. 


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