En plein essor sur le continent, les industries culturelles et créatives (ICC) révèlent l’énorme potentiel de la jeunesse africaine. L’Organisation internationale de la francophonie (OIF) figure parmi les principaux bailleurs de fonds à soutenir le secteur. Explications avec Nivine Khaled, directrice de la langue française et de la diversité des cultures francophones au sein de l’OIF.
Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed
Forbes Afrique : Quelles raisons ont poussé l’OIF à soutenir le secteur des ICC ?
Nivine Khaled : La culture fait partie de l’ADN de la francophonie, dont la première mouture fut l’Agence de coopération culturelle et technique fondée en 1970 à Niamey. Aujourd’hui, la culture n’est plus seulement un outil d’échange entre les pays francophones ; elle est devenue un levier important du développement économique et de la création d’emplois, en particulier pour les jeunes. La croissance de l’industrie culturelle est spectaculaire en Afrique et ne concerne plus seulement les secteurs dits « traditionnels » comme la musique et les arts plastiques. Nous assistons à un foisonnement de la production audiovisuelle, à une renaissance des salles de cinéma et à un développement à grande vitesse de la consommation d’images via internet, les plateformes et la télévision à péage. Ce qui est impressionnant, c’est que désormais, cette croissance est portée par des contenus africains. Le Nigeria avait montré la voie dès les années 1990 avec le phénomène Nollywood mais aujourd’hui, c’est l’Afrique francophone tout entière qui produit des séries qui, de plus en plus, prennent la place des télénovelas importées.
« L’OIF représente aujourd’hui la première source de financement public international pour le secteur audiovisuel africain »
Grâce à la relance des salles de cinéma en Afrique francophone, on voit aussi réapparaître une production de films populaires, notamment des comédies. Et en Afrique du Nord, un pays comme la Tunisie a su développer un cinéma indépendant de grande qualité qui a ramené le public local vers les salles de cinéma tout en obtenant des succès à l’international. L’OIF accompagne cet essor de plus en plus activement. Elle représente aujourd’hui la première source de financement public international pour le secteur audiovisuel africain. Outre l’audiovisuel, la littérature et l’édition ne sont pas oubliées. En 2021, trois des plus grands prix littéraires internationaux ont été attribués à des auteurs africains et francophones : Boubacar Boris Diop, couronné par le Neustadt International Prize for Literature, Mohamed MbougarSarr—déjà récompensé lors des Jeux de la francophonie d’Abidjan en 2017, qui a obtenu le prix Goncourt 2021, et Osvalde Lewat, lauréate de la première édition du Grand prix panafricain de littérature. Ils ont tous les trois été finalistes du Prix des cinq continents de la francophonie, que nous remettons chaque année depuis vingt et un ans et qui permet d’accompagner le lauréat dans sa promotion internationale durant une année.
Nous mettons également la culture, dans un sens plus large, au service des populations. Si nous accompagnons les jeunes créateurs africains pour leur mobilité et leur rayonnement à l’international, nous soutenons aussi la diffusion des créations dans l’ensemble des pays du Sud, notamment dans des zones rurales, où il y a moins d’infrastructures. Cela passe par notre réseau de Centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC), et le programme « CLAC en Scène ! » Il s’agit là d’aller au-delà d’une diffusion de contenus en proposant des rencontres culturelles, et faire culture ensemble avec des spectacles, des ateliers, des concerts à destination de populations jeunes éloignées des grands centres urbains. Et cela fonctionne !
Forbes Afrique : Reste un écosystème à bâtir et à structurer. Quels sont les modèles de projets menés par l’OIF en ce sens ?
Nivine Khaled : Il s’agit bel et bien d’un écosystème. Il faut donc avoir une vue d’ensemble de toute la chaîne pour comprendre les besoins, assez divers, de chaque catégorie d’acteurs. Je prendrai deux exemples qui illustrent la diversité de nos modalités d’action. Dans le secteur audiovisuel, l’OIF intervient directement, à travers ses deux fonds d’aide (le Fonds Image de la francophonie et le Fonds francophonie TV5Mondeplus), mais elle participe aussi de plus en plus à l’émergence ou au renforcement de fonds d’aide africains. L’objectif est d’aider les États à mettre en place des mécanismes de soutien au cinéma et à l’industrie des programmes audiovisuels. L’objectif est d’aider les États à mettre en place des mécanismes de soutien au cinéma et à l’industrie des programmes audiovisuels. Sur la seule année 2022, l’OIF est intervenue en Côte d’Ivoire, au Rwanda, au Togo et en Afrique centrale notamment. Elle s’apprête également à épauler la National Film Authority du Ghana, État associé de la Francophonie.
« La place du plaidoyer est importante dans nos interventions : les exemples du monde entier montrent combien l’investissement public (ou public-privé) dans le secteur du film peut agir comme levier sur des secteurs bien plus vastes comme le tourisme ou les télécoms »
La place du plaidoyer est importante dans nos interventions : les exemples du monde entier montrent combien l’investissement public (ou public-privé) dans le secteur du film peut agir comme levier sur des secteurs bien plus vastes comme le tourisme ou les télécoms. Les pays africains qui ont su développer un écosystème en ont fait la preuve (Afrique du Sud, Maroc, Sénégal…). Le second exemple concerne un secteur plus régalien, celui des politiques culturelles, où nous tentons d’intervenir sur l’identification des complémentarités entre les différents acteurs en présence (Ministères, collectivités locales, société civile, etc.). L’exemple de notre accompagnement de la région du Bélier, en Côte d’Ivoire, est très parlant : nous y accompagnons la structuration d’une filière textile en mobilisant des partenaires comme le Musée des tissus de Lyon, en accompagnant le lancement d’un tiers-lieu dédié au textile, ou encore en positionnant cette région du Bélier, comme la première à adopter une approche stratégique de valorisation des potentialités de la filière textile. Vous le voyez, nous nous adaptons en fonction des besoins du partenaire, et du secteur. Mais beaucoup reste encore à faire.