Par Sally Alassane THIAM, Président de l’ONG Afrique Patrimoine
Sur la totalité des 1154 sites classés dans la liste du patrimoine matériel mondial de l’humanité de l’Unesco en 2022, seuls 106 sont situés en Afrique. Comment expliquer cela ? Plutôt que de partir sur des hypothèses plus ou moins crédibles ou des considérations partisanes, il est vital de mieux les connaître… Or, les deux principaux problèmes qui empêchent l’Afrique de prendre son envol international en termes de retombées culturelles et touristiques sont sans nul doute cette sous-représentation sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité et le fait que la grande majorité de ses œuvres culturelles recensées se trouvent en dehors du territoire Africain.
Bien sûr, nos difficultés à communiquer sur nos monuments viennent aussi des maigres budgets ministériels alloués à la culture dans nos pays, qui en général ne dépassent pas les 2% du budget national. On peut aisément comprendre qu’il est quasi impossible de faire des miracles avec des moyens financiers aussi limités. D’ailleurs, selon le dernier rapport de l’Assemblée générale de l’Unesco (septembre 2021), il n’y aurait, en tout et pour tout, que quatre pays africains capables de protéger leur patrimoine matériel… Si cette répartition mondiale déséquilibrée est en partie liée à des critères « occidentaux » pas vraiment adaptés à l’Afrique, on ne peut nier aussi qu’il soit dû au manque de volonté mais surtout d’expérience des pays africains.
Ainsi, lorsqu’un Etat soumet un bien pour inscription au patrimoine matériel mondial de l’Unesco, il doit impérativement fournir toutes les précisions requises sur la manière dont il est protégé sur le plan juridique. Il doit aussi fournir un plan de gestion concernant son entretien. Les Etats sont par ailleurs encouragés à présenter à l’UNESCO des rapports sur leur état de conservation. De quoi en décourage plus d’un. Il est en effet complexe de constituer un dossier d’inscription suffisamment crédible et précis pour obtenir une aide financière ou l’expertise nécessaire à la préservation de tel ou tel site. Preuve que les choses ne vont pas en s’arrangeant, en 2021, le continent Africain dans sa globalité n’a eu que deux patrimoines classés, les Mosquées de styles soudanais du nord de la Côte d’Ivoire et le parc national de l’Ivindo au Gabon. Pendant ce temps, le continent Européen a vu 13 de ses patrimoines présentés être classés.
Bien sûr, on ne saurait mesurer l’intérêt patrimonial d’un pays, en fonction de sa géographie… Mais pour avoir une petite idée des proportions, l’Italie détient 58 patrimoines classés, contre une poignée en Afrique du Sud, qui fait pourtant quatre fois sa taille. En plus de cette sous-représentativité africaine, notons que sur 52 patrimoines en péril dans le monde, 22 se trouvent justement en Afrique. Ces données sont plus qu’alarmantes et devraient logiquement nous inciter à prendre le problème à la racine… Peut-être faudra-t-il instaurer dans les années à venir une forme de « discrimination positive du patrimoine » pour que les pays Africains rattrapent enfin ce retard. En tous les cas, nous devons dès à présent corriger ce déséquilibre. La culture doit redevenir le socle du développement d’un pays ou d’un continent comme ce fut le cas entre autres au Sénégal dans les années soixante…