Le 6 janvier 2025, l’Agence française de développement (AFD) a nommé sa nouvelle directrice Afrique. Face à l’urgence climatique et au redimensionnement de l’aide publique au développement (APD), quelles sont les priorités de Sandra Kassab ?
Par Marie-France Réveillard
Le port de tête altier, la veste en velours vert émeraude, et l’allure d’une jeune cadre dynamique, Sandra Kassab est une femme d’influence. Elle compte près de 20 ans d’expérience au sein de l’Agence française de développement (AFD). Diplômée de deux Masters, le premier en droit international public et le second en relations internationales, elle s’oriente vers le secteur du développement suite à une rencontre opportune, à l’Université Paris-La Sorbonne. « J’ai eu la chance d’avoir une professeure qui travaillait à la Direction du Trésor et qui m’a orientée vers le développement international. À cette époque, l’attractivité des métiers liés aux droits de l’Homme et l’importance de l’Organisation des Nations unies (ONU) étaient considérables, attirant de nombreux étudiants. Une fois diplômée, j’ai eu l’opportunité d’intégrer la Banque africaine de développement (BAD) à Tunis, avant de trouver une mission pour la Banque mondiale à Port-au-Prince », explique-t-elle.
C’est l’occasion pour la jeune Française de découvrir Haïti, dont elle est originaire. « Je travaillais dans un bureau d’études sur des projets de développement urbain. C’était la première fois que je me rendais en Haïti ». En 2004, elle fait ses premiers pas à l’AFD, comme volontaire internationale, et s’envole pour la Centrafrique, dans une « période de relative stabilité, peu après l’arrivée du président François Bozizé ». Elle y reste deux ans et l’expérience lui plaît. Elle y développe des projets d’aménagement forestier et de santé maternelle. À l’issue de cette mission, elle intègre le siège du groupe, où elle poursuit sa carrière dans la gestion de projets, comme coordonnatrice régionale du Sénégal et du Cap-Vert.
« En 2004, elle fait ses premiers pas à l’AFD, comme volontaire internationale, et s’envole pour la Centrafrique »
En[IL1] 2014, elle part pour le pays des pharaons. Elle restera quatre ans au Caire, participant à des projets liés à l’énergie, la protection sociale et la santé, avant d’être nommée directrice de l’AFD à Saint-Domingue. Elle développe alors des projets de transports et de mobilité urbaine, d’accès à l’eau et d’assainissement, mais aussi de formation professionnelle et de santé. En 2022, de retour à Paris, elle est promue directrice adjointe du département « Orients », un périmètre qui s’étend de la Turquie à la Chine, en passant par les Balkans, l’Ukraine et le Moyen-Orient. Elle y restera jusqu’au 6 janvier dernier…
« En 2022, de retour à Paris, elle est promue directrice adjointe du département « Orients »
Promue à la Tête du Département Afrique de l’AFD
« J’avais déposé ma candidature pour le poste de directrice Afrique et, en général, le processus de sélection prend du temps », confie-t-elle. Cette fois-ci, les délais seront raccourcis, Christian Yoka, l’ancien directeur Afrique de l’AFD ayant été nommé, en fin de mandat, ministre des Finances, du Budget et du Portefeuille public de la République du Congo. Sandra Kassab se retrouve donc, plus vite que prévu, à la tête d’une équipe de près de 500 personnes réparties entre le siège parisien et la quarantaine d’agences que compte le continent africain, rattachées à une demi-douzaine d’agences régionales (Johannesburg, Nairobi, Douala, Abidjan, Dakar et Casablanca). L’Afrique représente aujourd’hui 43 % du volume global des activités du groupe AFD qui intervient dans 44 pays sur le continent.
L’Afrique représente aujourd’hui 43 % du volume global des activités du groupe AFD qui intervient dans 44 pays sur le continent.
Entre « continuité et consolidation des acquis », Sandra Kassab s’est fixé l’objectif de « participer au renouvellement de la relation entre la France et les pays africains dans le cadre d’un nouvel Agenda transformationnel ». Du « New deal » porté par Christian Yoka, reposant sur la monétisation des Industries culturelles et créatives (ICC) et sur le sport (à la veille des Jeux olympiques de Paris 2024), à la mise en œuvre d’une dynamique d’investissement solidaire et durable dans des secteurs-clés (infrastructures durables, promotion d’une croissance inclusive et durable, services de santé, éducation et formation professionnelle, mobilisation du secteur privé), Sandra Kassab cherche à développer des projets en « co-construction », à favoriser le « faire ensemble » et à le « faire savoir ».
« Sandra Kassab cherche à développer des projets en « co-construction », à favoriser le « faire ensemble » et à le « faire savoir »
L’Afrique reste le continent prioritaire du groupe AFD, vers lequel convergeaient encore 38 % de ses fonds en 2023, soit quelque 5,1 milliards d’euros. Cependant, dans un contexte de restriction budgétaire, les fonds suivront-ils les ambitions de la nouvelle directrice Afrique du groupe ?
« L’Afrique reste le continent prioritaire du groupe AFD, vers lequel convergeaient encore 38 % de ses fonds en 2023, soit quelque 5,1 milliards d’euros »
L’Aide Publique au Développement Face Aux Tensions Budgétaires
Les comptes de l’Hexagone sont dans le rouge. La France enregistre 3 303 milliards d’euros de dette et l’heure est aux économies. Ainsi, le 16 janvier dernier, le Sénat adoptait le projet de loi de finances 2025, validant une coupe budgétaire de 36 % de son aide publique au développement (APD). Alors que le pays y consacrait 0,48 % de son budget 2023, soit 14,1 milliards d’euros, la tendance est à la baisse, en dépit de l’adoption, en 2021, d’une loi de programmation pour faire passer l’APD de 0,55 % du revenu national brut (RNB) en 2022, à 0,7 % en 2025 (conformément aux objectifs de l’ONU). In fine, ce sont près de 2 milliards d’euros consacrés à l’APD qui feront les frais de restrictions budgétaires. « La majorité des financements de l’AFD sont des prêts. Les subventions, plus affectées par les restrictions budgétaires, suscitent des préoccupations sans remettre en question notre capacité d’action dans les pays partenaires », tempère Sandra Kassab. L’écart budgétaire devrait toutefois se chiffrer en centaines de millions d’euros.
Au-delà des seules restrictions budgétaires françaises, le gel d’environ 70 milliards de dollars d’aides états-uniennes (dont 40 milliards de dollars de l’Agence des États-Unis pour le développement international-USAID) ne sera pas sans conséquence en Afrique, qui a obtenu 17,5 milliards de dollars de fonds en 2023, dont 720 millions pour les seuls pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), selon le site gouvernemental ForeignAssistance.gouv. « Cette situation affectera particulièrement les acteurs de l’humanitaire et nous y sommes attentifs. L’impact sur nos activités devrait être limité, mais nous analysons les répercussions dans les pays partenaires et sur le tissu associatif », précise la directrice Afrique de l’AFD.
« In fine, ce sont près de 2 milliards d’euros consacrés à l’APD qui feront les frais de restrictions budgétaires »
Alors que les dons consacrés au développement se réduisent progressivement, les prêts restent difficilement abordables avec des taux d’intérêt moyens observés sur les marchés financiers, supérieurs à 7 % pour les pays émergents. Or, sur les 23 000 milliards de dollars d’actifs et les 2 500 milliards de dollars d’investissements annuels engagées par les banques publiques de développement (BPD) en 2022, 80 % de ces ressources financières étaient orientées vers les pays du G20, contre 1 % seulement pour l’Afrique. « C’est précisément pour mobiliser davantage de fonds vers les pays en développement et émergents que le Sommet Finance en Commun (FICs) a été développé », rappelle Sandra Kassab. « Cette initiative doit jouer un rôle de levier pour mobiliser toujours plus de fonds vers la finance climat et vers l’atteinte des objectifs de développement durable dans les pays émergents », ajoute-t-elle.
« C’est précisément pour mobiliser davantage de fonds vers les pays en développement et émergents que le Sommet Finance en Commun (FICs) a été développé »

La Finance Verte : l’Autre Cheval de Bataille de l’AFD
« L’AFD est une agence pleinement engagée dans la lutte contre le changement climatique et 100 % alignée sur l’Accord de Paris », rappelle Sandra Kassab, et ce, en dépit de tensions climatiques grandissantes. D’un côté, l’Afrique, sous la double pression démographique et climatique, doit relever le défi de l’électrification (près de 600 millions d’habitants sont encore privés d’électricité), alors que les fonds viennent à manquer, et que les pays industrialisés peinent à mobiliser les 100 milliards de dollars par an promis aux pays du « Sud Global » pour les accompagner sur la voie d’une transition énergétique durable. Chaque année, les sommets sur le Climat s’enchaînent, avec des résultats qui restent loin du compte.
Plus grave encore, plusieurs pays industrialisés font marche arrière, sur fond de crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine et de climatoscepticisme revigoré. Le 27 janvier dernier, l’ONU confirmait le retrait des États-Unis du Pacte mondial de lutte contre le réchauffement climatique, conformément aux engagements de Donald Trump de retour à la Maison-Blanche. Peu après, c’était au tour du président argentin Javier Milei de confier son intention d’en sortir. Les ambitions françaises sont, elles aussi, mises à mal, avec la réouverture de la centrale à charbon de Saint-Avold, en Moselle, en janvier 2025. Pourtant, le constat climatique est alarmant. En janvier 2025 à Davos, Antonio Guterres, le Secrétaire général de l’ONU, exhortait de nouveau les gouvernements, le secteur privé et les institutions financières à créer « des plans de transition solides et responsables ».
Alors que les pays du G20 continuent de subventionner massivement le fossile (500 milliards de dollars par an selon l’ONG CARE), leurs exigences de durabilité vis-à-vis des pays du Sud sont de plus en plus mal perçues… À eux seuls, la Chine, les États-Unis, l’Inde et l’Union européenne (UE) ont contribué à plus de 55 % des émissions totales de gaz à effet de serre au cours de la dernière décennie, selon le Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE). Ce constat est loin de décourager Sandra Kassab, pour qui « des solutions existent, à condition de traduire les discours en actions concrètes et partagées avec les partenaires africains », soulignant notamment, qu’en janvier dernier « lors du Sommet africain de l’énergie Mission 300 de Dar es Salam, plusieurs initiatives encourageantes ont été prises pour allier électrification et durabilité ».
« Des solutions existent, à condition de traduire les discours en actions concrètes et partagées avec les partenaires africains »