La République démocratique du Congo ambitionne de devenir un pôle technologique majeur en Afrique. Pour cela, le pays prévoit d’investir 1 milliard de dollars d’ici 2030. Ambitieux… mais réaliste ? Alors que seulement 34 % des Congolais ont accès à Internet et 17 % au mobile, quels leviers sont réellement nécessaires pour transformer cette ambition en réalité ? Analyse.
Par Dounia Ben Mohamed
En septembre dernier, lors du forum DRC Digital Nation 2030 à New York, la République démocratique du Congo a présenté un plan ambitieux d’investissement de 1 milliard de dollars d’ici 2030, visant à moderniser ses services publics et accélérer la transformation numérique. Le ministre du Numérique, Augustin Kibassa Maliba, a insisté sur le rôle central des partenariats public-privé pour surmonter les obstacles liés à l’accès limité à Internet et à la faible couverture mobile. « Faire du numérique un levier d’intégration, de bonne gouvernance, de croissance économique et de progrès social », a rappelé le ministre, soulignant la vision stratégique du gouvernement pour faire de la RDC un hub technologique africain.
L’Accès à l’Énergie, un Préalable Essentiel
Ben-Bryant Mbuyi, analyste politique et conseiller du ministre provincial du Plan, observe : « Les leviers essentiels reposent sur quatre piliers : les infrastructures ; la qualité du contenu numérique ; la gouvernance ; et les partenariats stratégiques. Sans ces conditions, l’ambition de transformer la RDC en hub technologique restera un vœu pieux ». Pour l’heure, poursuit-il, « il est indéniable que la RDC fait face à plusieurs défis structurels sur le chemin de la transformation numérique, notamment en matière d’infrastructures énergétiques et technologiques ». Avant de nuancer : « Cependant, il faut reconnaître que le pays multiplie les initiatives nationales destinées à combler ces déficits, en particulier dans le domaine de l’accès à l’énergie, qui demeure un préalable essentiel à toute inclusion numérique ».


La question de l’énergie est en effet cruciale : actuellement, seulement 22 % des Congolais ont accès à l’électricité, un chiffre encore plus faible en milieu rural, limitant l’installation de data centers et de réseaux fiables. L’Agence nationale de l’électrification et des services énergétiques (ANSER) conduit des projets ciblés pour réduire la fracture énergétique et soutenir la connectivité.
« Actuellement, seulement 22 % des Congolais ont accès à l’électricité, un chiffre encore plus faible en milieu rural, limitant l’installation de data centers et de réseaux fiables »

Un Point d’Interconnexion Majeur du Continent
Ben-Bryant Mbuyi ajoute : « De plus, pour asseoir son statut de hub technologique régional, la RDC doit se positionner comme un point d’interconnexion majeur du continent ». À ce titre, le déploiement du backbone national en fibre optique, via le Projet de Couverture Nationale (PCN), est au cœur de cette stratégie. Il doit relier les principales villes et assurer l’interconnexion avec les câbles sous-marins comme le WACS (West Africa Cable System, soit Système de Câble ouest-africain), tout en consolidant le Projet Central African Backbone (CAB) pour faire de la RDC un point d’interconnexion régional et générer des revenus de transit.
« Pour asseoir son statut de hub technologique régional, la RDC doit se positionner comme un point d’interconnexion majeur du continent »


L’Inclusion Numérique au Cœur de la Transformation
La gouvernance numérique et la régulation constituent un autre pilier stratégique. Le Code numérique de 2023 et la création de l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPTC) du Congo, régulateur unique, établissent les bases juridiques pour la protection des données personnelles et la cybersécurité. La RDC a ratifié en mars 2025 la Convention de Malabo, renforçant la sécurité des transactions électroniques et la lutte contre la cybercriminalité. « Le Président a par ailleurs institué un Conseil national de la cyberdéfense, garant de la protection des données et des infrastructures critiques », souligne Ben-Bryant Mbuyi.
L’inclusion numérique figure également au cœur de cette transformation. Avec seulement 34 % d’accès à Internet et 17 % au mobile, le risque de creuser les inégalités est réel. La ministre de la Jeunesse, Grâce Emie Kutino, a signé récemment un protocole avec Airtel RDC pour former 250 000 jeunes aux métiers du digital, tandis que Cisco et Cybastion déploieront un programme similaire sur cinq ans. Pionnière en la matière, Itot Africa, société fondée en 2017 par quatre étudiants congolais à Lubumbashi, forme d’ores et déjà les jeunes aux compétences numériques et les connecte à des opportunités professionnelles.
Depuis sa création, plus de 11 000 jeunes ont bénéficié de ces formations. « Chez Itot Africa, notre mission est claire : créer des emplois à travers le numérique », explique Henrique Mukanda, cofondateur et directeur des opérations de cette société qui propose des formations aux métiers du digital, de l’IA, du e-commerce, du marketing en ligne, de la cybersécurité et de la gestion de projets numériques, etc. L’idée n’est pas seulement de transmettre des compétences, mais de connecter ces talents à des opportunités concrètes, locales ou à distance. « Basés à Lubumbashi, nous prouvons que la transformation numérique ne doit pas se limiter à Kinshasa : elle doit toucher toutes les régions, ajoute Henrique Mukanda. Nos actions complètent la vision nationale de faire du numérique un levier de développement, mais avec un modèle décentralisé et inclusif, ancré dans les réalités régionales ».
« La transformation numérique ne doit pas se limiter à Kinshasa : elle doit toucher toutes les régions »

Incubateurs et Diaspora Congolaise
À ce titre, le rôle des incubateurs, qui poussent tels des champignons à Kinshasa, Goma et Lubumbashi, est déterminant. Silikin Village, Ingenious City, Kobo Hub, Orange Corners RDC, KivuTech, Pull Up Business Women et autres, accompagnent startups et jeunes entrepreneurs. Ces structures offrent mentorat, financement et formations, soutenant un écosystème technologique inclusif et régional.
De son côté, le secteur privé construit les fondations d’une RDC numérique. Parmi les initiatives les plus récentes, les géants français et sud-africain Orange et Vodacom ont créé une joint-venture pour construire 2 000 stations de base solaires dans les zones rurales, visant à améliorer la couverture mobile. Selon la GSMA, étendre la couverture de 75 % à 80 % nécessite 150 nouveaux sites, et atteindre 98-99 % de la population demanderait plus de 2 000 sites supplémentaires.
« Les principaux freins à l’ambition numérique restent la connectivité, l’énergie et la gouvernance. Pour réussir, il est essentiel de mutualiser les infrastructures, d’accélérer les réformes sur la protection des données, de promouvoir des hubs régionaux à Lubumbashi, Kinshasa, Kisangani, Kolwezi et Goma, et d’investir massivement dans le capital humain », résume le responsable d’Itot Africa.
En attendant, Henrique Mukanda préconise également de faire appel à la diaspora congolaise, « souvent sous-exploitée mais hautement stratégique pour le développement du numérique. Elle dispose d’une expertise technique et managériale acquise dans des environnements internationaux avancés, notamment dans les domaines de la cybersécurité, de l’intelligence artificielle et de la régulation financière ». Et de citer l’exemple de Jean Mongu Bele, inventeur des smartphones et tablettes congolais Okapi, qui « démontre à quel point le talent congolais à l’étranger peut contribuer à l’essor du numérique national ».

Le Défi de l’Accès
La RDC dispose aujourd’hui de tous les ingrédients pour devenir un hub numérique africain : volonté politique, jeunesse dynamique, partenariats public-privé et initiatives locales et régionales. Henrique Mukanda conclut : « Pour que la RDC devienne un véritable hub numérique, il ne suffit pas d’investir dans les infrastructures : il faut former les jeunes, créer un écosystème inclusif et connecter chaque région au progrès digital. Le numérique doit être un levier pour apprendre, entreprendre et créer de la valeur pour tous. À Lubumbashi, je le vois chaque jour : la demande de formation est immense, mais l’accès reste un défi. C’est là que se joue l’avenir du pays ».
« À Lubumbashi, je le vois chaque jour : la demande de formation est immense, mais l’accès reste un défi. C’est là que se joue l’avenir du pays ».

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