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Six Leviers Clés Pour Le Développement d’Un Leadership Responsable En Afrique

L’Afrique est, on le sait, confrontée à d’immenses défis : défis géopolitiques intenses et défis économiques, qui induisent le besoin de développer des activités industrielles et de service créant le plus de valeur ajoutée possible au niveau local ; défis sociaux et sociétaux liés notamment à une démographie galopante qui conduira à un doublement de la population d’ici 2050… Le continent fait aussi face à des défis environnementaux, sur un territoire excessivement impacté par le réchauffement climatique, en dépit d’émissions de gaz à effet de serre parmi les plus basses au monde. Tribune

Par Christelle Bitouzet et Bénédicte Faivre-Tavignot, professeures à HEC Paris et directrices académiques du programme Lead Campus.


« Dans un monde VUCA – Volatile, incertain (Uncertain), Complexe, Ambigu –, la compétitivité et la résilience des entreprises, notamment africaines, passent par une réflexion approfondie sur leur raison d’être et leurs valeurs »

Tous interreliés, ces défis constituent bien sûr des menaces ; mais ce sont aussi des opportunités incroyables d’innovation et de réinvention des modèles d’affaires pour les acteurs économiques en Afrique.

Nous identifions six étapes et leviers clés permettant aux acteurs de changement africains de transformer ces défis en opportunités, qu’ils évoluent au sein de grandes entreprises ou qu’ils souhaitent créer une entreprise à impact :

1#. Comprendre Les Grands Défis Actuels Et à Venir

Dans une démarche systémique et prospective. Un dialogue avec des scientifiques est ici clé. Par exemple au niveau environnemental, il s’agit de comprendre quelles sont les limites planétaires telles que définies par les scientifiques du Stockholm Resilience Centre[i], d’analyser les signaux faibles[ii] et de s’entraîner à imaginer aussi les possibles « cygnes noirs »[iii].

« La création de richesse économique et sociale ne peut être envisagée qu’à l’intérieur des limites planétaires, dont 6 sont déjà dépassées en 2023 (contre 3 en 2009) »


2#. Identifier Les Parties Prenantes Principales De Son Activité, Et Se Mettre à l’Écoute De Leurs Attentes, Qui Évoluent Parfois Très Vite

Attentes des consommateurs, attentes des jeunes sur le marché de l’emploi, attentes du régulateur, etc. Par exemple, dans le cadre de son activité d’exploitation minière, le groupe marocain OCP (Office chérifien des phosphates) – présent sur les cinq continents et dans une dizaine de pays africains – a écouté et pris en compte les doléances et besoins des communautés relatives aux pollutions de l’air et de l’eau. Le groupe entend aussi et anticipe le besoin des fermiers d’évoluer vers une agriculture de précision, gestionnaire des ressources rares, plus productive et plus durable. Il anticipe également les nouvelles réglementations, notamment européennes, en termes de reportings extra-financiers[iv], qui seront demandés à partir de 2028 aux entreprises (au chiffre d’affaires supérieur à 150 millions d’euros) exportant en Europe. Autre exemple : dans un domaine plus social, le groupe d’assurance panafricain Sunu – implanté dans 17 pays du continent – anticipe une croissance forte des classes moyennes et propose depuis quelque temps une offre d’assurance inclusive, abordable et adaptée aux besoins des foyers à bas revenus en Afrique de l’Ouest.


3#. Définir ou Redéfinir Sa Raison d’Être

Face à ces évolutions complexes, d’ampleur et rapides, et au regard des pressions croissantes qui y sont associées, la compétitivité et la résilience des entreprises, notamment africaines, passent par une réflexion approfondie sur leur raison d’être et leurs valeurs. Sunu, par exemple, a compris que pour contribuer au développement de l’Afrique et particulièrement des classes moyennes, il fallait redéfinir sa raison d’être et ses valeurs, et en faire le fondement même de sa stratégie.


4#. Revoir Sa Chaîne De Valeur Pour Réduire Ses Externalités Négatives

À l’instar de l’OCP, qui vise à atteindre une efficacité maximale dans ses activités tout en réduisant son impact sur l’environnement dans l’immédiat et à long terme, et investit pour cela massivement dans la réduction des externalités négatives liées à son activité minière. Autre exemple, celui du chocolatier français Cémoi qui, lui, travaille en étroite collaboration avec les coopératives affiliées et partenaires, assurant aux planteurs soutien technique, formation et paiement d’une prime de qualité et les aidant à développer des pratiques durables. Membre de l’International Cocoa Initiative (ICI) depuis 2021, le groupe est notamment engagé dans la prévention et la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans sa chaîne d’approvisionnement.


5#. Imaginer Des Modèles Économiques Innovants Et Vecteurs d’Impact Positif

Afin de réduire la part de cacao exporté et de créer plus de valeur ajoutée locale, Cémoi a aussi bâti à Abidjan la première usine d’Afrique de transformation du cacao en produits finis chocolatés. De nombreux entrepreneurs à impact ont ainsi fait leur apparition ces dernières années, qui transforment les défis en opportunités et répondent aux problématiques environnementales et sociales actuelles en inventant des modèles bas carbone, circulaires et inclusifs adaptés aux besoins du continent africain. Parmi ceux qui se distinguent, on peut citer Okra Solar, qui propose des solutions d’accès à l’énergie très innovantes au Nigéria grâce à ses « mesh grids », petits réseaux constitués de systèmes individuels connectés entre eux et permettant l’électrification des ménages hors réseau. L’entreprise Coliba, engagée dans la valorisation des déchets plastiques, circularise les bouteilles plastiques en Côte d’Ivoire tout en favorisant l’emploi et l’inclusion. Au Kenya, Access Afya travaille sur l’accès à la santé pour tous en bâtissant de petites pharmacies et cliniques dans les bidonvilles de Nairobi.


6#. Pour Les Entreprises Établies, Se Transformer en Profondeur et Créer de Nouvelles Collaborations Génératrices de Changement Systémique

Les entreprises établies évoquées plus haut, ainsi que de nombreuses autres que nous n’avons pas citées, ont aussi compris l’importance de se transformer en profondeur en développant une culture de l’impact, de la responsabilité et de l’innovation, et en investissant de manière proactive dans la formation de leurs dirigeants et managers. Elles ont aussi perçu l’enjeu d’une collaboration partenariale active avec les autres parties prenantes – acteurs publics, acteurs de la société civile et du monde académique – condition sine qua non d’un changement systémique. Les scientifiques le disent : la création de richesse économique et sociale ne peut être envisagée qu’à l’intérieur des limites planétaires, dont 6 sont déjà dépassées en 2023 (contre 3 en 2009). L’innovation environnementale et sociale est donc, pour les entreprises africaines, un puissant levier de compétitivité sur le long terme. C’est cette innovation qui favorisera leur résilience face aux multiples défis qui s’annoncent, notamment celui de la lutte et de l’adaptation au changement climatique.


[i] Initiative conjointe de l’Université de Stockholm et de l’Institut Beijer d’économie écologique de l’Académie royale des sciences de Suède, le SRC est devenu, depuis sa création en2007, un centre scientifique de premier plan au niveau mondial ; la mission de ses 140 membres est de faire progresser la recherche sur la gouvernance et la gestion des systèmes socio-écologiques afin de garantir les services écosystémiques pour le bien-être humain et la résilience pour la durabilité à long terme.

[ii] Éléments de perception de l’environnement, opportunités ou menaces, qui doivent faire l’objet d’une écoute anticipative appelée veille, dans le but de participer à l’élaboration de choix prospectifs en vue d’établir une stratégie, et de réduire l’incertitude.

[iii] La théorie du cygne noir, développée par le statisticien Nassim Taleb, est une théorie selon laquelle on appelle « cygne noir » un certain événement imprévisible qui a une faible probabilité de se dérouler et qui, s’il se réalise, a des conséquences d’une portée considérable et exceptionnelle.

[iv] Aussi appelé reporting ESG ou reporting RSE, le reporting extra-financier est un document servant à communiquer sur les implications sociales, environnementales, sociétales de ses activités, ainsi que sur son mode de gouvernance.

[v] Situation dans laquelle un agent économique provoque par son activité des effets négatifs sur la société. Exemple : la pollution émise par une usine, qui inflige une nuisance à un lieu, ou encore l’utilisation de pesticides toxiques, qui appauvrissent les milieux naturels et menacent la biodiversité.

[vi] Les limites planétaires sont les seuils que l’humanité ne devrait pas dépasser pour ne pas compromettre les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer et pour pouvoir durablement vivre dans un écosystème sûr, c’est-à-dire en évitant les modifications brutales et difficilement prévisibles de l’environnement planétaire. On en compte 9, qui sont : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, les modifications des usages des sols, la pollution chimique, la perturbation des cycles biochimiques de l’azote et du phosphore, l’acidification des océans, les aérosols atmosphériques, la diminution de la couche d’ozone, et l’utilisation d’eau douce.


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