Par Malcolm Biiga, consultant senior en relations publiques
Dans le cadre de l’U.S.-Africa Leaders Summit prévu du 13 au 15 décembre, les Etats-Unis apportent leur soutien officiel pour l’entrée de l’Union africaine en tant que membre permanent au G20. Selon Judd Devermont, directeur exécutif des affaires africaines du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche, « il est grand temps que l’Afrique ait des sièges permanents à la table des organisations et
initiatives internationales ». Arlésienne des relations internationales, la représentativité du continent africain au sein des organisations internationales est un sujet récurrent. La volonté d’inclusion des pays africains est désormais soutenue avec force par des puissances occidentales telles que les Etats-Unis. Quels enjeux soulève l’entrée de l’Union africaine au sein du G20 et du Conseil de sécurité de l’ONU ?
Un G21 pour le 21ème siècle
Groupe élargi du G7, le G20 est un forum international rassemblant les 19 pays aux économies les plus développés et l’Union européenne. Initié en 1999 en vue de répondre aux crises financières globales, le groupe comprend 80% du PIB mondial et 2/3 de la population du monde. Les conférences annuelles du G20 favorisent le dialogue entre pays du fait de la nature élargie du groupe. Il est donc préféré au G7 voire au Conseil de sécurité des Nations Unies qui est sclérosé par l’emprise du droit de veto (fortement utilisé par la Russie). Pourtant, la nature large du G20 ne parvient pas à inclure suffisamment le continent africain. L’Afrique du Sud est l’unique pays africain en son sein alors que l’UE dispose d’un siège commun. L’inclusion de l’UA au G20, soutenue par Joe Biden, assurerait une voix globale de l’Afrique.
L’avènement d’un G21 est nécessaire pour refléter le paysage international de notre siècle. Institution plus moderne et moins formelle que le Conseil de sécurité de l’ONU, le G20 doit tirer profit de son fonctionnement pour inclure de manière permanente l’UA. De toute évidence, le soutien de Joe Biden est une manière de rapprocher Afrique et Amérique. La présence de la Chine et de la Russie sur le continent africain bouscule les accès de l’Occident, fortement amincis par le retrait de la France au Mali. L’entrée de l’UA au sein du G20 serait propice alors que la Russie en est isolée (une exclusion de fait illustrée par l’absence de Vladimir Poutine au sommet de Bali). L’entrée de l’UA au G20 constituerait un symbole majeur, mais la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU serait une étape bien plus grande.
L’ONU ou l’imperméable Club des Cinq
La composition du Conseil de sécurité de l’ONU est héritée de l’ordre mondial à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Organe exécutif, le groupe réunit les pays vainqueurs du conflit : les Etats-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France, et la Chine. Le Conseil a pour « responsabilité principale le maintien de la paix et de la sécurité internationale », ce qui se traduit par l’envoi de casques bleus ou l’établissement de sanctions internationales. Si le Conseil a été élargi à 10 membres non-permanents (élus tous les 2 ans par l’AG de l’ONU), il reste personnifié par les PermanentFive. L’organe est présidé mensuellement par un membre du Conseil de sécurité, selon l’ordre alphabétique anglais des noms des pays. Malgré cette présidence tournante, plusieurs voix se sont élevées pour réformer le Conseil.
En effet, les membres permanents disposent de davantage de pouvoir que les membres non-permanents : les Cinq disposent d’un droit de veto exclusif. Cette prérogative couplée à la permanence de leur mandat accorde une place à part au Big Five. Ce déséquilibre a depuis longtemps poussé de nombreux pays à vouloir une réforme. Les pays émergents tels que le Brésil et l’Inde ou encore les pays reconstruits de la Seconde Guerre comme l’Allemagne ou le Japon, ont milité pour leur inclusion au Conseil de sécurité (l’Allemagne ayant d’ailleurs proposé un siège commun pour l’UE, demande laissée lettre morte par la France – et avant le Brexit – par le Royaume-Uni). Le G4 est donc souvent cité comme potentiels membres permanents si le Conseil de Sécurité venait à être réformé.
Mais c’est surtout l’absence d’un pays africain au Conseil de sécurité qui est souvent critiqué. En 1996, un groupe de travail avait proposé de doubler le nombre de membres permanents en y ajoutant l’Allemagne, le Japon, et trois nations du Tiers-monde. La France a toujours soutenu cette position tout en soulevant l’idée d’aussi inclure un pays arabe. L’Afrique du Sud, déjà membre du G20, est souvent le pays cité comme candidat potentiel au statut de membre permanent, au côté de l’Egypte. L’Union africaine quant à elle, suivant le consensus d’Ezulwini souhaite deux sièges permanents avec droit de veto. Alors que les blocs de l’Est et de l’Ouest exercent une influence continue en Afrique, quelle nation africaine saura prendre sa place en tant que membre permanent tout en gardant son indépendance ?
Le siège africain, un siège périlleux ?
Selon les légendes arthuriennes, le siège périlleux est le siège maudit de la Table Ronde, situé à la droite du roi Arthur. Réservé à un chevalier au cœur pur, il engloutit les chevaliers présomptueux qui daignent s’asseoir dessus. Le récit de Camelot prédit que le siège périlleux attend son héros (Galaad, fils de Lancelot), destiné à mettre fin à la quête du Graal des chevaliers de la Table Ronde. Symbole d’humilité, de bravoure et de droiture, le « siège africain » n’est-il pas le siège périlleux du conseil de Sécurité ? La nation africaine qui deviendra membre permanent se devra d’être un exemple de stabilité économique et démocratique. Elle devra également être à l’abri des influences extérieures, qu’elles viennent de l’Est ou de l’Ouest. Sans mettre fin à la quête du Graal, ce chevalier africain bousculera un rapport de force international datant de près de 80 ans.
Légende de la photo : Le secrétaire d’État, Antony Blinken, avec le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, lors de la signature d’un protocole de coopération visant à élargir le partenariat en matière de santé publique entre les États-Unis et l’Union africaine, au Département d’État des États-Unis à Washington, le 11 mars 2022.
Crédit-photo : Ron Przysucha