Moteur de la croissance économique et sociale du pays, l’agriculture et ses activités connexes poursuivent leur mue, dictée par trois mots d’ordre : industrialisation
du secteur, protection des ressources naturelles et professionnalisation de la main-d’œuvre locale. En parallèle, l’accent est mis sur l’agriculture durable et les produits vivriers. Analyse Sectorielle
Analyse publiée dans l’Édition N°80 – Propos recueillis par Kouza Kiénou
Constituant le cœur de l’économie ivoirienne et employant 50 % de la main-d’œuvre active1, le secteur agricole contribue pour 22 % au PIB du pays2 et pour 66 % à son revenu d’exportation. Ses performances prouvent la place incomparable de la Côte d’Ivoire sur la scène mondiale : 1er producteur mondial de cacao et de noix de cajou (respectivement 2 millions de tonnes et 1 million de tonnes en 2021), 5e producteur mondial d’huile de palme (et 2e producteur africain), 7e producteur mondial de caoutchouc naturel (et 1er producteur africain), 4e producteur africain de coton, 1er pays africain exportateur de bananes (avec le Cameroun)…
Un Pôle Attractif Pour L’Agrobusiness
En 2022, les produits issus de l’agriculture industrielle et d’exportation ont représenté 40,1 % des exportations du pays, la première place allant au cacao (transformé et non transformé) pour 30,2 %, suivi du caoutchouc naturel et des noix de cajou (respectivement 11,4 % et 6 % des ventes). La transformation locale constitue le principal défi de l’agrobusiness ivoirien, soumis à la forte concurrence d’exportateurs aux moyens importants. En ce domaine, le secteur de l’anacarde affiche des résultats encourageants : son taux de transformation locale a atteint 21,2 % en 2022, contre 9 % en 2018, ce qui fait du pays le 3e transformateur mondial de noix de cajou. Et il n’entend pas en rester là : il prévoit de transformer 320 000 tonnes de noix de cajou en 2024, sur une production attendue à 1,25 million de tonnes. Certes, le chemin sera encore long avant de bâtir une véritable industrie portée par les opérateurs locaux. Mais ceux-ci sont encouragés à renforcer leurs capacités3. C’est ce qu’a fait récemment Cashew Coast, en injectant 9 millions d’euros pour doubler ses volumes de produits transformés, tandis qu’EcoCajou (détenue majoritairement par l’Union de Coopératives de Cacao ECOOKIM) a ouvert une usine de transformation, moyennant un investissement de 15 millions d’euros.
Des Planteurs à la Peine
Le cacao ivoirien (plus de 40 % de la production mondiale) est confronté au même défi. « On voit émerger des capacités locales de transformation, même si cette proportion reste encore faible : entre 10 et 20 % de la fève transformée », observe Christian Cilas, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Grâce à des allègements fiscaux et à des subventions octroyées aux broyeurs de fèves, le gouvernement souhaite en tout cas que 100 % de la production du pays soit transformée localement à l’horizon 2030 (contre 30 % actuellement). En attendant, les plus de 800 000 planteurs qui vivent du cacao sont à la peine. Au bout d’une chaîne dominée par les géants américains et européens du secteur, ils subissent les fluctuations du marché mondial et de ses achats à terme, et leur accès aux ressources financières pour faire face aux défis climatiques reste très limité (le secteur agricole ne reçoit que 5 % du financement bancaire). Ce qui n’empêche pas plusieurs initiatives, soutenues par l’État, pour favoriser l’agroforesterie et développer des techniques visant à protéger les sols. En matière d’agriculture durable, les mastodontes du secteur, eux, sont en pointe. « Nos initiatives [dans le secteur du caoutchouc, NDLR] visent à réduire la déforestation, à décarboner nos activités, et à fournir des solutions de traçabilité pour garantir un caoutchouc durable conforme aux législations internationales », déclare ainsi Théodore Partheeban, président et directeur régional du groupe asiatique Olam Agri, par ailleurs premier broyeur de fèves en Côte d’Ivoire et qui s’apprête à y ouvrir sa troisième usine d’égrenage de coton.
Diversification Des Productions
Si les cultures de rente traditionnelles continuent donc à attirer les investissements, la nouveauté est ailleurs : l’accent est désormais mis sur les produits vivriers traditionnels dont certains (parmi lesquels le manioc, l’igname, le riz et l’attiéké) ont fait cette année l’objet d’une interdiction d’exportation durant six mois, au nom de « la sécurité alimentaire »4. Soucieux de réduire la dépendance du pays aux importations alimentaires tout en développant les exportations des produits agricoles présentant un avantage compétitif, le gouvernement encourage ainsi les productions de riz, de manioc, de banane plantain ou de maïs. Transformer, conserver et stocker les productions locales est aujourd’hui un impératif et la création du pôle agro-industriel du nord (2PAI- Nord) devrait y contribuer. Sur le volet du renforcement des compétences, les initiatives se multiplient aussi, à l’instar de l’école d’agriculture digitale de Yamoussoukro. « Il est crucial, insiste Alassane Doumbia, PCA de SIFCA, de continuer à attirer et former des talents locaux pour soutenir l’innovation et la croissance dans le secteur. Le financement de celui-ci nécessite de s’y pencher, avec la création d’instruments locaux à cet effet. Enfin, la propriété foncière demeure un point important dans le développement du secteur agro-industriel ».
1. En 2021, La Société de culture bananière (SCB) était le premier employeur du pays (8 161 emplois), suivi de Sucrivoire (2e de la filière sucrière après Sucaf ) avec 7 813 emplois et de Palmci, autre filiale du groupe SIFCA, avec 7 465 employés. La STDM (70 % du marché ivoirien du riz) arrivait en 4e position avec 7 053 emplois.
2. Très loin devant l’élevage et la pêche (respectivement 2 % et 0,4 % au PIB).
3. La suspension temporaire des achats et exportations d’anacarde, telle celle décidée en mai 2024, garantit l’approvisionnement des unités locales de transformation et constitue de fait un coup de pouce aux industriels locaux.
4. L’importation de denrées alimentaires a représenté en 2022 près de 2 milliards d’euros.
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