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La Grande Distribution À l’Assaut Du Continent

La grande distribution tisse sa toile en Afrique, où plus d’un quart de la population mondiale – soit 2,7 milliards d’habitants – vivra en 2050. D’Abidjan à Yaoundé en passant par Lomé, supermarchés, centres commerciaux et grandes surfaces se multiplient dans les capitales et les grandes villes du continent. Les grandes firmes multinationales occupent le terrain aux côtés des acteurs locaux, et rencontrent un marché plutôt taillé sur mesure. Un nouvel eldorado de la consommation aux perspectives de croissance prometteuses ?

Une analyse de Kokou Gamado & un dossier coordonné par Jacques Leroueil et Élodie Vermeil


Le continent africain comptera 1,5 milliard d’habitants en 2026 et un quart de la population mondiale y vivra en 2050, soit 2,5 milliards d’habitants. Une explosion démographique qui se répercutera sur de nombreux secteurs, dont celui de la grande distribution. Portée par cette croissance de la population, la hausse du niveau de vie, les nouveaux besoins et habitudes des consommateurs, mais aussi l’accélération de l’urbanisation, le marché de la grande distribution en Afrique subsaharienne francophone se développe à tout-va, tiré par les grandes enseignes qui multiplient les ouvertures de magasins. Reste à ces opérateurs privés à prendre en compte certaines variables structurelles (cultures, goûts alimentaires, revenus, dynamique démographique des différents territoires…), à s’adapter aux mutations du secteur et à faire face à la concurrence des acteurs de l’e-commerce, qui ont grandement bénéficié de la crise sanitaire. Tour d’horizon d’une filière prometteuse et hautement stratégique.


En Afrique, on assiste depuis quelques années à l’émergence d’une classe moyenne définie comme la partie de la population qui, par son niveau de vie, se situe entre les classes aisées et les classes les plus pauvres. Selon les données de la Banque Africaine de Développement (BAD), un tiers de la population africaine – soit environ 350 millions de personnes – appartient à cette classe moyenne. Une aubaine pour les grandes sociétés de consommation qui voient leur base s’élargir, malgré les défis liés au secteur. C’est ainsi que de grandes enseignes internationales débarquent sur le continent : Intermarché, Système U, Auchan, Carrefour, Casino, Ramco et Leader Price, pour ne citer que celles-l à, tissent leur toile dans plusieurs pays aux côtés des acteurs locaux, et multiplient leurs parcs de magasins. Dans leur collimateur, cette fameuse classe moyenne africaine. Sont considérés comme relevant de cette catégorie les individus qui gagnent plus de 3 900 dollars (un peu plus de 3 600 euros) par mois (en parité de pouvoir d’achat) ou dépensent par jour entre 2 et 10 dollars (d’un peu moins de 2 euros à un peu plus de 9 euros). Selon les critères retenus par la BAD, le pouvoir d’achat de cette classe moyenne se situe entre 2 et 20 dollars (un peu de 2 euros pour la fourchette basse et un peu moins de 19 euros pour la fourchette haute). Celle-ci constitue donc une opportunité pour la distribution.


Un Potentiel Économique Énorme

D’après une étude du groupe CFAO (spécialisé dans la distribution) réalisée avec l’institut de sondage IPSOS et le cabinet de conseil BearingPoint en 2015, cette classe moyenne africaine consacre 25 % de son budget aux produits alimentaires, et 86 % des personnes qui la composent se rendent au moins une fois par mois dans un supermarché. Attirée par les nouveaux marchés de la consommation et attachée aux commerces de proximité, cette classe émergente développe de nouvelles habitudes de consommation. En 2040, elle dépensera davantage que les 300 millions de Chinois urbains qui consomment aujourd’hui entre 1 300 et 1 400 milliards de dollars par an (respectivement 1 200 et 1 300 milliards d’euros/an). Le cabinet international de conseil en stratégie McKinsey estime que ce marché devrait représenter 1 750 milliards de dollars (environ 1 630 milliards d’euros) d’ici 2040. Si l’on en croit les projections figurant dans l’étude Africa: Open for business, publiée par l’entreprise britannique d’analyse The Economist Intelligence Unit (EIU), les 18 plus grandes villes du continent pourraient avoir un pouvoir d’achat cumulé de 1,3 trillion de dollars (1,2 trillion d’euros) à l’horizon 2030, tandis qu’en 2050, 63 % de la population africaine sera urbaine. « Cet engouement pour les supermarchés et autres grandes surfaces est surtout le fait de l’émergence d’une classe moyenne ouverte sur le monde, sur les bouquets satellitaires, et désireuse d’avoir des modèles de consommation qui la connectent étroitement à la mondialisation. Ceci fait du nouveau consommateur urbain une personne plus exigeante d’une certaine qualité, liée au confort de se balader dans un environnement d’achat sécurisé, contrairement aux marchés qui sont considérés comme sales et peu sûrs », indique Guy Mfila, économiste camerounais.

« L’engouement pour le commerce moderne est surtout le fait de l’émergence d’une classe moyenne ouverte sur le monde via Internet et les bouquets satellitaires, et désireuse d’avoir des modèles de consommation qui la connectent étroitement à la mondialisation »


Le Tiercé De Tête : Égypte, Kenya Et Nigeria

Les firmes internationales ont donc vite décelé l’énorme potentiel que représente ce groupe intermédiaire sur un continent dont la croissance économique, malgré les crises, semble tenir bon. Sans surprise, elles déploient de grands moyens pour s’installer et occuper le terrain : en Afrique subsaharienne, le commerce moderne (les grandes surfaces) représente déjà 20 à 30 % de la distribution. En 2010, on dénombrait 225 centres commerciaux en Afrique ; un chiffre qui a quasiment triplé en à peine 10 ans, puisqu’il s’élevait à 622 en 2021. Cette année-là, le Kenya s’impose comme le deuxième pays du continent (hors Afrique du Sud) le plus équipé en centres commerciaux (66) après l’Égypte (106) et devant le Nigeria (53). Et ce tiercé de tête n’est pas près de changer, d’autant qu’il y a plus de projets de centres commerciaux en construction et en planification en Égypte (35), au Nigéria (25) et au Kenya (13) que dans le reste de l’Afrique réunie. En Afrique francophone, ce sont le Cameroun et la Côte d’Ivoire qui arrivent en tête des pays comptant le plus de grandes surfaces.


Des Variables Structurelles

Toutefois, le dynamisme n’est pas le même partout sur le continent. Ainsi, les leaders de la grande distribution s’implantent-ils dans un contexte économique parfois incertain, où les habitudes de consommation n’évoluent pas aussi vite que le pouvoir d’achat des consommateurs et où le cadre institutionnel demeure très fluctuant. Tout n’est donc pas rose. D’ailleurs, la fermeture des enseignes n’est pas rare. Pour tenir le coup, les entreprises concernées usent de stratégie(s), proposant notamment des produits à des prix adaptés, loin des standards appliqués dans les pays occidentaux ou en Asie. Elles doivent en effet composer avec un environnement commercial atypique, en prenant en considération plusieurs aspects. En l’occurrence le pouvoir d’achat modeste – avec, notamment, l’inclusion de l’unidose dans l’offre commerciale, véritable argument de vente –, les goûts alimentaires, les cultures locales, les habitudes de consommation, et le développement des territoires et de l’hinterland. Car force est de constater qu’aujourd’hui, le milieu rural est le grand oublié de la distribution moderne. Or, comme le fait remarquer l’économiste congolais Al Kitenge, «l’inclusion n’est pas une faveur que l’on fait aux milieux ruraux », mais « une forme d’implication des milieux ruraux dans la compétitivité des nations ». L’enjeu pour la grande distribution est donc de mettre en place des offres qui répondent aux attentes de la classe moyenne, tout en tenant compte du contexte économique général. Ainsi, il n’est pas rare de voir de grandes marques étrangères s’allier aux enseignes locales et/ou proposer des produits fabriqués localement. Autre défi : composer avec l’effet de l’inflation sur le portefeuille des consommateurs et répondre aux « envies » d’une population de plus en plus encline à faire ses courses dans un environnement agréable et pas trop éloigné de son domicile, tout en bénéficiant de prix attractifs. Une formule magique pour séduire les consommateurs, mais un équilibre pas toujours évident à trouver…


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