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L’Afrique Face Au Défi De La Sécurité Alimentaire

Près d’une personne sur cinq souffre de la faim sur un continent africain où le secteur agricole emploie environ 65% des actifs, et qui abrite plus de 60% des terres arables disponibles dans le monde. Aux prises avec l’insécurité alimentaire, l’Afrique doit désormais faire face à son inévitable révolution agricole. Enquête

Par Marie-France Reveillard


Entre pandémie de Covid-19, chocs climatiques et recrudescence des conflits, à l’échelle mondiale, ce sont aujourd’hui 122 millions de personnes supplémentaires qui souffrent de la faim par rapport à 2019, d’après le rapport des Nations unies intitulé L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde. Alors que la faim régresse en Asie et en Amérique latine, elle progresse en Asie de l’Ouest, dans les Caraïbes et surtout en Afrique, où une personne sur cinq est touchée par le phénomène, soit plus du double de la moyenne mondiale. En Afrique de l’Ouest et centrale, la situation est devenue alarmante, et l’objectif de développement durable n° 2 de l’ONU, « Zéro faim » à l’horizon 2030, s’éloigne chaque jour un peu plus. Selon les estimations de l’organisation internationale, le nombre de personnes menacées par l’insécurité alimentaire pourrait atteindre jusqu’à 49,5 millions en 2024. Au niveau géopolitique, la guerre en Ukraine a provoqué une flambée des prix qui a sévèrement impacté le budget des ménages, et suscité de vives inquiétudes en terres africaines. « Les prix des céréales ont déjà dépassé ceux du début du printemps arabe et des émeutes de la faim de 2007-2008 (…) L’indice mondial des prix des denrées alimentaires de la FAO [Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture] est à son plus haut niveau jamais enregistré (…) 45 pays africains et pays les moins avancés importent au moins un tiers de leur blé d’Ukraine ou de Russie – 18 de ces pays en importent au moins 50 %. Cela comprend des pays comme le Burkina Faso, l’Égypte, la République démocratique du Congo, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen », prévenait le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, quelques mois seulement après le début du conflit russo-ukrainien. Alors que l’agriculture emploie près des deux tiers de la population active africaine et que le continent abrite environ 60 % des terres non cultivées dans le monde, l’Afrique reste largement dépendante de ses importations alimentaires. Comment expliquer cette dichotomie entre abondance des ressources et hyper-dépendance à l’extérieur ?

« Alors que la faim régresse en Asie et en Amérique latine, elle progresse en Asie de l’Ouest, dans les Caraïbes et surtout en Afrique, où une personne sur cinq est touchée par le phénomène, soit plus du double de la moyenne mondiale »

L’hydroponie (culture sans sol) est une approche novatrice face aux enjeux de sécurité alimentaire. Ici, un plant de basilic cultivé par hydroponie sur un toit de Johannesburg, en Afrique du Sud.


Monoculture Et Dépendance Alimentaire

Tout commence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que le monde – occidental en particulier – est traversé par des vagues de pénuries alimentaires. Chaque pays cherche à s’extraire de sa dépendance extérieure, mécanisant son agriculture à marche forcée. Les résultats sont tels que lesdits pays se retrouvent bientôt en situation de surproduction. Il ne leur reste alors plus qu’un le seul débouché : l’Afrique. Le continent, qui produisait jusque-là ses propres cultures comme le manioc, le mil ou le sorgho, a ainsi brusquement vu ses modes de consommation se modifier, avec l’arrivée de nouvelles offres alimentaires nutritives à des tarifs défiant toute concurrence. La monoculture s’est alors imposée, s’accompagnant d’une dépendance alimentaire aujourd’hui remise en question, sur fond de crises protéiformes. Cependant, entre mécanisation embryonnaire et manque de main-d’œuvre agricole qualifiée, comment relever le défi de la sécurité alimentaire ? Pour Karim Ait Talb, directeur général de Géocoton (Groupe Advens), « la problématique n° 1, c’est le financement. Le secteur privé peut mobiliser les fonds pour financer des infrastructures agricoles modernes et augmenter la productivité, à condition d’avoir accès à des conditions adaptées, qui ne soient pas soumises à des taux d’intérêt prohibitifs ». Parallèlement, le renforcement des compétences locales s’impose comme l’autre priorité du secteur. Selon le NEPAD [Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique, un plan de développement intégré initié par des chefs d’État africains, qui répond de manière cohérente et équilibrée aux principales priorités sociales, économiques et politiques du continent, NDLR], bien que le nombre de travailleurs agricoles ait fortement progressé, leur productivité n’a augmenté que de 1,6 % en Afrique au cours des 30 dernières années, contre 2,5 % en Asie (source : « L’agriculture en Afrique subsaharienne : Perspectives et enjeux de la décennie à venir », dans Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2016 2025, Éditions OCDE, Paris). Or, les besoins alimentaires sont exponentiels sur un continent qui verra sa population doubler selon l’ONU, pour dépasser les 2 milliards d’habitants en 2050.

La problématique n° 1, c’est le financement. Le secteur privé peut mobiliser les fonds pour financer des infrastructures agricoles modernes et augmenter la productivité, à condition d’avoir accès à des conditions adaptées, qui ne soient pas soumises à des taux d’intérêt prohibitifs.


La ZLECAF : Une Chance Pour L’Agriculture Africaine ?

L’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf ) suscite de nombreux espoirs en matière de développement des filières, mais elle pose aussi la question de la compétitivité. De quelle façon l’Afrique protégera-t-elle ses productions face à la concurrence mondiale, eu égard à sa faible productivité ? D’après la FAO, il faut en moyenne 3 hectares pour nourrir un Africain, contre 0,2 hectare pour un Européen. Kako Nubukpo, le commissaire à l’Agriculture, aux Ressources en eau et à l’Environnement de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a relancé le débat sur les impacts du libre-échange dans le secteur alimentaire, dans son dernier ouvrage Une solution pour l’Afrique : Du néoprotectionnisme aux biens communs (O. Jacob, Paris – 2022), en expliquant que « lorsque le producteur de riz sénégalais de Casamance travaille 1 heure, celui de l’Arkansas aux États-Unis produit 400 fois plus ». Face à ce constat, il prône une forme de néoprotectionnisme capable de protéger le développement des filières locales. L’intégration africaine se heurte aux mêmes défis, car les agricultures subventionnées, comme celle du Burundi, ne seraient pas en mesure de concurrencer les géants agricoles du continent comme le Maroc, par exemple. Pour l’économiste togolais, instaurer une forme de libre-échange tous azimuts équivaudrait ni plus ni moins à faire entrer le renard dans le poulailler.

Lorsque le producteur de riz sénégalais de Casamance travaille 1 heure, celui de l’Arkansas aux États-Unis produit 400 fois plus.

Karim Ait Talb (Geocoton) plaide, lui, pour un « protectionnisme intelligent qui permettrait de protéger le développement des chaînes de valeur locales, sans bloquer l’importation des denrées alimentaires essentielles », tout en insistant sur la mobilisation substantielle de fonds pour moderniser le secteur. « Le potentiel agricole a longtemps été le parent pauvre des investisseurs qui ont préféré financer des infrastructures portuaires favorisant l’extraversion des économies africaines », explique-t-il rétrospectivement. Enfin, selon Kobenan Kouassi Adjoumani, le ministre ivoirien de l’Agriculture engagé dans le développement d’ambitieux projets de structuration des filières locales, la ZLECAf représente avant tout de « nouveaux débouchés », et l’opportunité de « renforcer les échanges intracontinentaux » (qui ne représentent à ce jour que 14,4 % du total des échanges sur le continent, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement).

Le potentiel agricole a longtemps été le parent pauvre des investisseurs qui ont préféré financer des infrastructures portuaires favorisant l’extraversion des économies africaines.

Au Kenya, des ouvriers agricoles utilisent une machine à décortiquer actionnée par un tracteur pour transformer les enveloppes de maïs sèches en épis et en grains. Les épis sont utilisés pour la production de furfural, tandis que les grains sont destinés à l’alimentation.


La Côte D’Ivoire Accélère Sa Révolution Agricole

En Côte d’Ivoire, le secteur agricole contribue à près d’un quart du PIB. En 2022, les produits alimentaires représentaient 19% du total des importations en termes de valeur monétaire, et 24,5 % du total des importations en volume, selon la Direction générale des douanes. « Le besoin de consommation en produits halieutiques de la Côte d’Ivoire s’élève à 600 000 tonnes par an, alors que nous n’en produisons que 110 000 tonnes. Ce sont plus de 400 milliards de francs CFA [608 millions d’euros] que nous dépensons chaque année en devises pour répondre à la consommation locale », explique Sidi Touré, le ministre ivoirien des Ressources animales et halieutiques, qui s’emploie à optimiser le potentiel local. Pour ce faire, il peut désormais s’appuyer sur la stratégie nationale qui repose sur l’industrialisation du secteur, la protection des ressources naturelles et la professionnalisation de la main-d’œuvre locale. Pour relever le défi de la sécurité alimentaire, la Côte d’Ivoire a adopté une approche holistique. Dès lors, l’État intervient dans chaque filière : de la protection du littoral et des ressources halieutiques à l’élevage de volaille, en passant par le renforcement des productions de riz, de manioc, de banane plantain ou de maïs. La mécanisation agricole est lancée et des zones de transformation sortent des terres, à l’image du Projet de pôle agro-industriel du nord (2PAI-Nord) en 2022, pour transformer, conserver et stocker les productions locales.

Produits halieutiques

Le besoin de consommation en produits halieutiques de la Côte d’Ivoire s’élève à 600 000 tonnes par an, alors que nous n’en produisons que 110 000 tonnes. Ce sont plus de 400 milliards de francs CFA [608 millions d’euros] que nous dépensons chaque année en devises pour répondre à la consommation locale.


Agritech : De Nouvelles Perspectives

Au niveau du renforcement des compétences aussi, les initiatives se multiplient, à l’instar du centre de formation agricole associé à une ferme digitale expérimentale, en cours de construction à Yamoussoukro, avec le concours de l’Université Mohamed VI Polytechnique (UM6P). « La majorité des projets que nous mettons en œuvre sont intégrés et interviennent sur les différents maillons des chaînes de valeur », assure Kobenan Kouassi Adjoumani, bien décidé à relever le défi de la sécurité alimentaire au pays du cacao



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