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Le Marché de l’Eau : L’Afrique Peut-Elle Échapper à la Guerre de l’Eau ?

Les ressources hydriques ont longtemps fait l’objet d’une gestion partagée et collaborative. Désormais, la pression en ce domaine impacte les exploitations transfrontalières et met à rude épreuve les relations diplomatiques. Décryptage.

Une Analyse de Marie-France Réveillard I Dossier coordonné Par Élodie Vermeil


Les rivières, les affluents, les lacs et les aquifères ne connaissent pas de frontières. Cependant, face à un changement de paradigme dû à la pression démographique qui s’exerce sur les ressources hydriques, les premières tensions apparaissent. Aussi, pour prévenir les conflits hydriques, l’Unesco a-t-elle lancé, en décembre 2022, une coalition relative à la coopération dans le domaine des eaux transfrontières. Les temps changent et l’eau, considérée jadis comme une denrée acquise, fait aujourd’hui l’objet d’une exploitation parfois controversée. Pourtant, les ressources ne manquent pas et, d’avis d’experts, les réserves situées dans les nappes phréatiques pourraient largement répondre aux besoins de la population mondiale. Mais à quel prix économique et environnemental ? « De son vivant, le colonel Kadhafi avait développé un projet destiné à transférer l’eau de l’aquifère gréseux nubien – situé en partie sous le désert libyen –, vers le littoral, à l’aide d’un réseau de canalisations de plus de 3 500 km. Ce projet a été interrompu à cause de la situation politico-militaire. Il nous interroge néanmoins sur le recours aux aquifères fossiles qui sont non renouvelables. Il faut protéger ces réserves que certains cherchent à exploiter comme des ressources minières », prévient Philippe Jacq, de l’association Eau sans frontières internationale (ESFI) qui regroupe depuis 1978 des Rotariens autour de projets d’accès à l’eau, d’assainissement et d’hygiène, en particulier en Afrique subsaharienne.


Le Grand Barrage De La Renaissance au Coeur d’Un Conflit Larvé

Dans la région du Benishangul-Gumuz, le barrage de la Renaissance est en passe de s’imposer comme la centrale hydroélectrique la plus puissante d’Afrique. L’Éthiopie entend doubler sa production d’électricité, à laquelle la moitié des 120 millions d’habitants n’ont toujours pas accès. À l’horizon 2027, ce méga-barrage, qui a occupé environ 6 000 employés pendant près de dix ans, produira 5 100 mégawatts (MW). Le projet n’est pas sans avoir créé quelques tensions régionales. Depuis le début de la construction du barrage (d’un coût de 3,5 milliards d’euros) en 2011, le pays des pharaons redoute une baisse du débit du Nil bleu consécutive à sa construction. À ce jour, le fleuve fournit 97 % des besoins en eau de l’Égypte selon l’ONU, tandis que les rives du fleuve abritent près de 95 % des Égyptiens. Face à la pression démographique, l’Égypte, dont la population est passée de 35 millions en 1970 à plus de 100 millions aujourd’hui, revendique son « droit historique » sur le fleuve. « Le vrai problème s’est concentré autour de la vitesse du remplissage du barrage, mais la question avance dans le bon sens aujourd’hui », assure Loïc Fauchon, président du Conseil mondial de l’eau, une organisation internationale fondée en 1996 et qui réunissait 260 organisations de 52 pays sur cinq continents en 2023.

Le Grand barrage de la Renaissance stimulera la production d’électricité et le développement de l’Éthiopie, mais il suscite des tensions avec les pays situés en aval, le Soudan et surtout l’Égypte. Éléments de cette image fournis par la NASA.

L’Hydrodiplomatie : Nouvel Outil de Coopération Régionale

Selon le rapport mondial 2024 des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau (ONU-Eau), les tensions liées à l’eau exacerbent les conflits. Or, l’Afrique est le continent le plus exposé aux tensions hydriques interétatiques. « À mesure que le stress hydrique augmente, les risques de conflits locaux ou régionaux augmentent (…) si nous voulons préserver la paix, nous devons non seulement mieux préserver les ressources en eau, mais aussi renforcer au plus vite la coopération régionale et mondiale dans ce domaine », indiquait par voie de communiqué Audrey Azoulay, la directrice générale de l’UNESCO, qui redoute un « risque imminent d’une crise mondiale de l’eau » (2024). Afin d’échapper au pire, de nouvelles initiatives apparaissent pour permettre un accès à l’eau à moindre coût, en s’appuyant sur des techniques d’assainissement et de maintenance d’ouvrage adaptées aux conditions locales. « Nous cherchons des solutions pour assainir et stocker l’eau, mais aussi pour en optimiser les usages (…) La dépollution des eaux de surface ou la désalinisation ne sont souvent pas appropriées aux pays du Sud, car elles sont trop coûteuses », explique Lucien Delorme, le vice- président de l’association Hydraulique sans frontières (HSF). « Parallèlement à la mise en place de systèmes hydriques, nous participons activement à la formation de techniciens qui pourront assurer la maintenance des infrastructures dans la durée », poursuit il. À date, les eaux transfrontières représentent 60 % des flux d’eau douce dans le monde, et 153 pays ont un territoire situé dans au moins l’un des 310 bassins fluviaux et lacustres transfrontaliers (ONU), alors que seuls 24 pays ont indiqué avoir signé des accords de coopération portant sur la totalité de leurs bassins transfrontaliers…

Audrey Azoulay, Directrice Générale de UNESCO

« À mesure que le stress hydrique augmente, les risques de conflits locaux ou régionaux augmentent (…) si nous voulons préserver la paix, nous devons non seulement mieux préserver les ressources en eau, mais aussi renforcer au plus vite la coopération régionale et mondiale dans ce domaine »


Le marché de l’eau en Afrique est confronté à des enjeux cruciaux qui affectent le développement socio-économique du continent. Bien que l’Afrique dispose d’importantes ressources hydriques, plus de 300 millions d’Africains, soit 40 % de la population, n’ont toujours pas accès à l’eau potable, entraînant des conséquences dramatiques sur la santé publique et le bien-être. Les défis sont exacerbés par le changement climatique, qui entraîne une variabilité accrue des précipitations ainsi que des sécheresses fréquentes, rendant la gestion de l’eau encore plus complexe. De plus, la privatisation des ressources en eau soulève des questions éthiques et économiques, car elle privilégie souvent les populations solvables au détriment des plus vulnérables. L’absence de politiques nationales cohérentes et d’infrastructures adéquates complique davantage l’accès à cette ressource essentielle. Face à ces défis, il est impératif de développer des stratégies inclusives et durables pour garantir un accès équitable à l’eau pour tous les Africains. Le point dans ce dossier spécial.


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