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L’Offensive Africaine Sur Le Marché Mondial des Industries Créatives

Les industries créatives génèrent un revenu global de 2 250 milliards de dollars (environ 2 000 milliards d’euros) par an et emploient 30 millions d’actifs, selon l’UNESCO. Si la contribution du marché africain reste marginale, de nouvelles tendances pourraient bien profiter au continent, qui se prépare à des perspectives de croissance exponentielles.

Par Marie-France Réveillard


Aussi longtemps que les lions n’auront pas leur historien, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur », écrivait jadis Chinua Achebe (1930-2013). Comme un clin d’œil au poète nigérian, c’est depuis Lagos que rayonnent aujourd’hui les récits africains des temps modernes, à travers le phénomène Nollywood, qui représente le second marché mondial du cinéma derrière Bollywood (Inde) et devant Hollywood (États-Unis). Au Nigéria, l’industrie cinématographique représente 2 500 films produits chaque année. Elle attire 150 millions de spectateurs et contribue à hauteur de 2,2 % au PIB. Un tel succès a réveillé les appétits des géants du streaming comme Netflix ou Amazon Prime Video, qui misent depuis peu sur les productions nigérianes, avec un certain succès. En 2022, Aníkúlápó, de Kunle Afolayan, atteignait la première place du classement mondial Netflix. L’année suivante, The Black Book, le thriller produit et réalisé par Editi Effiong, se classait dans le Top 10 des titres les plus visionnés, un mois après sa sortie. En terres francophones, Canal+ soutient l’écosystème audiovisuel local et « développe 4 000 heures de contenu original par an », souligne Fabrice Faux, le Chief Content Officer de l’entreprise. Présente dans 25 pays africains, l’entreprise y a adapté son offre (langues vernaculaires, chaînes sur mesure et productions locales).

« C’est depuis Lagos que rayonnent aujourd’hui les récits africains des temps modernes, à travers le phénomène Nollywood, qui représente le second marché mondial du cinéma derrière Bollywood (Inde) et devant Hollywood (États-Unis) »

Kunle Afolayan

L’Afrique Au Coeur de l’Agenda Mondial Du Cinéma

À 7 000 kilomètres de Lagos, Le Cap s’est imposée comme « l’autre » capitale africaine du film. Attirés par des sites exceptionnels, un cours du rand relativement faible par rapport au dollar, des infrastructures multiples, un certain nombre d’avantages fiscaux et un climat agréable toute l’année, les producteurs américains y multiplient les tournages dont les coûts sont environ 40 % moins chers qu’aux États-Unis. Blood Diamond avec Leonardo DiCaprio (2006), Invictus avec Morgan Freeman (2009), Zulu avec Forrest Whitaker (2013) ou encore la série Homeland (2014), sont autant de succès réalisés dans la nation arc-en-ciel. En 2023, le live-action One Piece, qui a coûté la coquette somme de 144 millions de dollars (près de 130 millions d’euros) à Netflix (dont 48,7 millions de dollars en Afrique du Sud), a enregistré des records d’audience. Véritable phénomène de société, la série a permis de créer plusieurs centaines d’emplois localement. L’externationalisation des productions américaines a également favorisé le renforcement des capacités. En 2023, les créations made in Africa ont augmenté de +12,76 %, selon la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI). À ce jour, le secteur emploie 5 millions de personnes en Afrique et représente 5 milliards de dollars (4,48 milliards d’euros) de PIB à travers l’Afrique, selon l’UNESCO. L’agence onusienne estime qu’il pourrait, au maximum de ses capacités, générer plus de 20 millions d’emplois et contribuer à hauteur de 20 milliards de dollars (près de 18 milliards d’euros) aux PIB combinés du continent. Entre le FESPACO burkinabè, le Cape Town International Filmmarket & Festival ou encore le Marrakech International Film Festival, l’Afrique est désormais inscrite au cœur de l’agenda mondial du cinéma. Cependant, les professionnels du secteur font globalement face à de sérieux défis relatifs à de faibles revenus, une protection sociale quasi inexistante, des lois sur la propriété intellectuelle peu ou pas appliquées, un manque de financements, d’infrastructures, mais aussi de formations.

En 2023, les créations made in Africa ont augmenté de +12,76 %, selon la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI).


L’Afrobeat : Un Nouveau Souffle Venu de l’Ouest

Dans les maquis d’Abidjan, les clubs parisiens ou sur les scènes new-yorkaises, l’Afrobeat ouest-africain s’est affranchi de toutes les frontières, s’imposant comme l’une des tendances fortes des plateformes musicales. Le succès de stars nigérianes ne se dément pas. En 2023, Burna Boy était sacré meilleur artiste international des BET Awards pour la quatrième fois consécutive, tandis que Rema se classait en tête du Bilboard US Afribeats Songs et remportait le MTV Afrobeats Award avec son single « Calm down », en duo avec Selena Gomez.

Burna Boy, BET Awards 2023

« La culture africaine est devenue une source d’inspiration sans frontière. Les Anglo-Saxons ont réussi à construire des ponts entre le Nigéria, l’Afrique du Sud, le Ghana et les États-Unis. Les collaborations entre des stars américaines et nigérianes se multiplient. Chacun y trouve son compte », constate Pit Baccardi, artiste et producteur franco-camerounais. Du Festival Gnaoua et Musiques du monde à Essaouira (Maroc) au Cape Town International Jazz Festival, en passant par l’AfrikaBurn dans désert du Karoo, en Afrique du Sud, on ne compte plus les rencontres musicales qui réunissent chaque année des milliers de festivaliers. Produire de tels événements est pourtant loin d’être une sinécure, assure l’entrepreneur ivoirien Mamby Diomandé (ex directeur Live et Brand au sein d’Universal Music Africa), à la manœuvre dans l’organisation de nombreux concerts (Kaaris, Koffi Olomide, MHD) et du Salon des industries musicales d’Afrique francophone (SIMA). « La production de spectacle ne s’improvise pas. C’est un métier qui requiert des compétences ». C’est justement là où le bât blesse. « Les acteurs du secteur sont peu formés et les autorités, tout comme les artistes, ne maîtrisent pas les enjeux de cette industrie qui va exploser d’ici une quinzaine d’années en Afrique. En termes de capacités, nous ne sommes qu’à 5 % du potentiel », explique-t-il. À la veille de ses 25 ans de carrière, le constat de Pit Baccardi rejoint celui de Mamby Diomandé. « Il est encore difficile de parler d’industrie musicale en Afrique. Faute de cadre réglementaire, rares sont les artistes ou les producteurs qui parviennent à émerger », constate-t-il. Cependant, portées par les plateformes musicales et soutenues par des Afrodescendants en pleine quête mémorielle, les musiques africaines ont le vent en poupe et pourraient bien bénéficier des nouvelles tendances de consommation. « La durée de consommation moyenne d’un single avoisine les trois semaines, aujourd’hui. Chaque jour, TikTok révèle de nouveaux singles viraux. L’informatique est en train de disrupter les processus de création et de consommation musicales. Face à cette nouvelle donne, l’Afrique a un rôle à jouer », estime Mamby Diomandé, qui développe actuellement une société d’artistes assistés par l’intelligence artificielle (IA) pour accélérer le renforcement des capacités locales.

« Dans les maquis d’Abidjan, les clubs parisiens ou sur les scènes new-yorkaises, l’Afrobeat ouest-africain s’est affranchi de toutes les frontières et s’est imposé comme l’une des tendances fortes des plateformes musicales comme Deezer ou Spotify »

Pit Baccardi

Fashion Industry & Gaming : Les Nouveaux relais de Croissance ?

Depuis les années 2010, la mode africaine s’est imposée dans les Fashion Weeks et les magazines, suscitant un engouement autour de nouveaux designers africains. Ainsi, lorsque Michelle Obama se présente dans les robes du Britannique d’origine nigériane Duro Olowu, c’est le succès assuré ! Pour la Sénégalaise Sarah Diouf, la reconnaissance arrive en 2018, quand Beyoncé apparaît sur les réseaux sociaux habillée en Tongoro, la marque qu’elle a créée deux ans plus tôt. La mode africaine s’appuie également sur une demande locale toujours plus grande. À Cotonou, les Béninois ne jurent plus que par Lolo Andoche, dont le pagne traditionnel (kanvô) est devenu l’étendard d’une marque plébiscitée dans toute la sous-région. Dans un rapport publié fin 2023 sur les tendances, les défis et les opportunités de croissance dans le secteur de la mode en Afrique, l’UNESCO considère que le continent « a toutes les cartes en main pour devenir un prochain champion mondial de la mode ». En effet, il représente l’un des principaux producteurs de matières premières au monde (37 pays africains sont producteurs de coton). Les exportations de textile s’élèvent à 15,5 milliards de dollars (près de 14 milliards d’euros) par an et les importations représentent plus de 23,1 milliards de dollars (20,7 milliards d’euros). La trentaine de Fashion Weeks africaines témoigne de la productivité des designers qui s’alignent sur une demande grandissante. Selon l’UNESCO, les besoins en articles africains de haute couture pourraient croître de +42 % dans les dix prochaines années. Pour répondre à l’appétit des consommateurs, le continent devra toutefois relever le défi du triptyque « fonds, formation et réglementation ».

Les exportations de textile s’élèvent à 15,5 milliards de dollars (près de 14 milliards d’euros) par an et les importations représentent plus de 23,1 milliards de dollars (20,7 milliards d’euros).

à gauche : Sarah Diouf et à droite : Beyoncé By Tongoro

Jeux Vidéo : La Riposte Africaine

Enfin, s’il est un secteur particulièrement attractif aux yeux des experts en industries créatives, c’est bien celui des jeux vidéo (« gaming ») qui devrait atteindre 187,7 milliards de dollars (168 milliards d’euros) à l’échelle mondiale cette année, selon le Global Games Market Report 2024 du cabinet Newzoo, soit un marché plus important que celui de la musique et du cinéma réunis. La zone « Amérique latine, Afrique et Moyen-Orient » ne représente que 9 % du marché, mais le nombre de gamers africains enregistre la croissance la plus forte au monde (+8,9 % en 2024). Bien plus qu’un marché à conquérir, le gaming afrofuturiste participe à créer les codes d’un secteur qui pourrait s’imposer comme un puissant outil de soft power auprès des jeunes générations. Depuis la création en 1996 de Celestial Games (premier studio africain indépendant) à Johannesburg, l’Afrique du Sud conserve son rang de leader du gaming sur le continent, avec un marché de 266 millions de dollars (238 millions d’euros) et 26 millions de joueurs actifs. Cet écosystème fait néanmoins pâle figure face aux géants américains et chinois du secteur des jeux vidéo, qui représentent près de la moitié des dépenses globales de consommation (47 milliards de dollars aux États-Unis et 45 milliards de dollars en Chine), selon Newzoo. La riposte africaine s’organise à marche forcée. En 2022, les plus grands studios de neuf pays africains se regroupaient au sein du Pan Africa Gaming Group (PAGG) dans le but de capter à terme 1 milliard de gamers à travers le monde. Entre contribution économique, outil d’influence et affirmation identitaire, le secteur des industries créatives en Afrique se situe à la croisée des enjeux géostratégiques.

« Bien plus qu’un marché à conquérir, le gaming afrofuturiste participe à créer les codes d’un secteur qui pourrait s’imposer comme un puissant outil de soft power auprès des jeunes générations »



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