Le 28 juillet 2010, l’Assemblée générale de l’ONU reconnaissait que « le droit à l’eau potable et l’assainissement est un droit de l’homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Quinze ans plus tard, les problématiques d’assainissement n’ont pourtant jamais été aussi présentes, selon les derniers rapports de l’organisation internationale.
Par Elliott Brailly
Paradoxe : si le continent africain dispose d’une eau en abondance, il est pourtant la région du monde la plus touchée par l’insécurité hydrique. Ce qui signifie qu’il y a plus d’eau disponible que d’eau réellement utilisée.
L’Afrique présente en effet un score très faible concernant le niveau d’accès – en toute sécurité – à l’eau et à l’assainissement, selon les résultats de l’enquête annuelle de 2023 de l’Institut pour l’eau, l’environnement et la santé de l’Université des Nations unies1. Seuls 6 pays sur 54 font exception : l’Algérie, l’Égypte, la Gambie, le Ghana, le Maroc et la Tunisie !
L’Afrique présente un score très faible concernant le niveau d’accès – en toute sécurité – à l’eau et à l’assainissement.
Or , dans l’Agenda 2030 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les programmes WASH (Water, Sanitation, Hygiene and Health) ont défini un Objectif de Développement Durable, l’ODD6, qui vise un accès universel et équitable à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement. « Il est impossible d’atteindre un quelconque ODD sans sécurité de l’eau », souligne le Docteur Charlotte MacAlister, Global Water Security Expert et rapporteuse du rapport annuel de 2023. « La qualité de l’eau est due aux problèmes d’infrastructures. Aujourd’hui, l’OMS s’appuie sur les travaux du JMP (Joint Monitoring Project)2. Plus encore qu’un sujet d’investissement, la réelle problématique est plutôt là où vont les investissements plus que l’investissement en lui-même ».
« Il est impossible d’atteindre un quelconque Objectif de Développement Durable sans sécurité de l’eau »
Assainissement et Accès à l’Eau Potable, les Grands Oubliés
En Europe et en Amérique du Nord, ces problématiques d’infrastructures ont été traitées au début du XXe siècle. Les investissements étaient alors concentrés sur les questions de santé publique. Ailleurs, les solutions sont toujours basées sur les techniques de raccordement. Michael Zelniker, réalisateur de documentaires3 et volontaire pour le Climate Reality Project, la fondation de l’ancien vice-président américain Al Gore, complète : « Globalement, dans tous les pays du monde, des milliers de milliards de dollars ont été investis dans les infrastructures, les transports, les réseaux électriques et téléphoniques, les bâtiments, etc. Mais aucun budget n’avait été prévu pour le réseau d’assainissement ou l’accès à l’eau potable. Parfois par choix, souvent par “oubli”. Parce que l’eau était accessible, dans les rivières, les lacs, avec la pluie. L’accès à l’eau potable était facile. Aujourd’hui, à cause de l’industrialisation massive, du changement climatique, de l’agriculture intensive et de l’utilisation des produits chimiques, cet accès n’est plus aussi simple ».
« À cause de l’industrialisation massive, du changement climatique, de l’agriculture intensive et de l’utilisation des produits chimiques, l’accès [à l’eau potable] n’est plus aussi simple »
En 2019, selon les chiffres de l’OMS, 20 pays africains avaient « des taux de mortalité extrêmement élevés », entre 46 et 108 décès pour 100 000 habitants, à cause de difficultés d’accès au réseau d’assainissement. « 33 pays sont touchés par les fluctuations d’une année sur l’autre. Ce qui peut se traduire par une sécheresse une année et une inondation l’année suivante », poursuit Charlotte MacAlister.
« En 2019, selon les chiffres de l’OMS, 20 pays africains avaient « des taux de mortalité extrêmement élevés », entre 46 et 108 décès pour 100 000 habitants, à cause de difficultés d’accès au réseau d’assainissement »

Comment Réduire Notre Besoin en Eau ?
Par ailleurs, dans la langue française, on parle d’assainissement de l’eau. Soit une affaire sanitaire ; de santé publique. Alors qu’en anglais, on utilise le terme water security. Ce qui englobe la même question de santé publique, mais également la question économique, écologique, sociale, de qualité de l’eau. Donc un impact plus large. Et pour cause : « Ces questions n’impliquent pas que les gouvernements et les ONG, c’est aussi le secteur des entreprises, notamment les multinationales, qui font des profits en consommant les ressources des pays, sans réinvestir dans ces mêmes pays », explique Charlotte MacAlister. « Il faut en faire plus, ajoute-t-elle. Et pas uniquement sur l’investissement – sur l’innovation, le développement de solutions –, ce pour répondre à l’enjeu majeur : comment réduire notre besoin en eau, en fonction de la capacité disponible, et de sa qualité ? Dans les industries, il est possible d’utiliser des eaux usées ou dessalées Mais, pour la consommation, il faut de l’eau sans déchets ou matières fécales ».
« En anglais, on utilise le terme water security. Ce qui englobe la (…) question de santé publique, mais également la question économique, écologique, sociale, de qualité de l’eau »
« Avec la vente d’eau potable en bouteille, nous sommes passés d’un élément indispensable à notre survie à un produit commercial. Nous sommes responsables de cette situation. C’est un vrai problème anthropologique », observe Michael Zelniker. « Je ne sais pas s’il y a des solutions. Les scientifiques pensent même qu’il est déjà trop tard. Une chose est sûre : avec ou sans nous, la vie sur Terre continuera. Sauf qu’avec notre action actuelle, selon l’IUCN [Union internationale pour la conservation de la nature, NDLR], nous emporterons dans notre chute 37 à 39 % des espèces connues. Qu’est-ce qui ne va pas avec nous ? ». Le documentariste est allé à la rencontre des populations de plus de 20 pays dans le monde, dont le Cameroun, le Rwanda, l’Ouganda, l’Afrique du Sud et l’Ethiopie. Il a rencontré plus de 200 personnes et remarqué une chose : l’accès à l’eau potable est un thème majoritairement féminin. Ce sont les femmes qui ont la charge de trouver des solutions.
« Ces questions n’impliquent pas que les gouvernements et les ONG, c’est aussi le secteur des entreprises, notamment les multinationales, qui font des profits en consommant les ressources des pays, sans réinvestir dans ces mêmes pays »
« Sans Eau, On Ne Peut Rien Faire ! »
Selon l’ONU, avoir accès à de l’eau potable qui ne rend pas malade est un droit de l’Homme. « Cela devrait être appris à l’école. Sauf que si l’école elle-même n’a pas accès à l’eau, pour boire ou se laver les mains, comment peut-on l’apprendre aux élèves ? », interroge le Dr MacAlister. Or, si la santé publique est un droit de l’Homme, c’est aussi parce qu’une population en bonne santé, c’est une population qui peut aller travailler. Ce qui est fondamental pour la population est indispensable pour développer une économie. « Cela devrait être l’un des piliers des stratégies actuelles pour les pays qui visent à transformer leur économie. L’assainissement de l’eau a un impact sur les Infrastructures, la santé, l’alimentation, l’éducation, l’agriculture, l’énergie. Sans eau, on ne peut rien faire ! », poursuit la chercheuse.
« L’assainissement de l’eau a un impact sur les Infrastructures, la santé, l’alimentation, l’éducation, l’agriculture, l’énergie »
Si, par le passé, l’accès à l’eau a été l’une des sources majeures de conflit (pour l’accès à l’eau potable, le développement du commerce extérieur ou de l’agriculture par exemple), dans le futur, la situation pourrait de nouveau empirer, à cause des intempéries de type ouragans, cyclones, tempêtes, sécheresses, entraînant des phénomènes de migration de masse. Pourtant, si dans les années qui viennent, les politiques gouvernementales s’alignent avec les recommandations et l’agenda de l’OMS et des ODD, tous les pays pourraient avoir accès à l’eau. Et donc avoir l’opportunité de se développer. « Cela pourrait offrir un futur aux pays africains. Pour faire rester les gens chez eux, il faut augmenter la qualité de vie chez eux », soutient l’expert climatique. « Car les populations les plus en danger sont les populations les plus pauvres ».
« Dans le futur, la situation pourrait de nouveau empirer, à cause des intempéries de type ouragans, cyclones, tempêtes, sécheresses, entraînant des phénomènes de migration de masse »
1. Source : UNU INWEH, https://unu.edu/inweh
2. Source : JMP, https://washdata.org/
3. Il est notamment le réalisateur du film Au bout du rouleau – Une histoire d’amour boréale, sorti en 2022.