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Busola Tejumola : “Le Contenu Local Reste Au Cœur De Notre Stratégie De Différenciation”

Directrice exécutive des chaînes & des contenus pour l’Afrique de l’Ouest du sud-africain Multichoice -le leader africain de la télévision payante avec plus de 20 millions d’abonnés- Busola Tejumola a une connaissance fine des enjeux liés au secteur de l’audiovisuel sur le continent. Dans cet entretien, elle brosse un état des lieux de la filière et précise les actions entreprises par son groupe.

Propos recueillis par Jérémie Suchard


Forbes Afrique : Vous avez une position privilégiée sur les développements actuels de l’industrie cinématographique et audiovisuelle africaine. Quelle est la dynamique actuelle du secteur, notamment dans la région d’Afrique de l’Ouest que vous couvrez ?  

Busola Tejumola : L’industrie cinématographique africaine connaît actuellement un vaste essor ainsi qu’une meilleure connexion à l’international, mais son potentiel reste largement inexploité. Selon l’UNESCO, elle représenterait 5 milliards de dollars et emploierait environ 5 millions de personnes. En Afrique de l’Ouest, Nollywood reste à l’avant-garde de cette augmentation en produisant environ 2 500 films par an. La pénétration de l’internet n’a par ailleurs cessé d’augmenter sur le continent : elle atteint aujourd’hui 73 % au Nigeria, 59 % au Mali, 56 % au Sénégal et 46 % au Ghana. La plupart des contenus audiovisuels sont désormais accessibles aux Africains via des plateformes de streaming. Le Ghana et le Nigeria restent les marchés télévisuels les plus dynamiques de la région. Les modes de réception courants vont de la télévision terrestre au câble, en passant par l’IPTV (Internet Protocol Television, ndlr), la télévision par internet. La télévision par satellite est présente dans 70 % des foyers ghanéens et dans plus de 40 % des foyers nigérians, et ce chiffre augmente sensiblement d’année en année. Enfin, les téléviseurs haute définition (HD) sont de plus en plus populaires sur le continent : on estime que 50 % des foyers ghanéens et nigérians en possèdent un.


Concernant spécifiquement votre société, MultiChoice, comment vous positionnez-vous aujourd’hui en termes d’offre par rapport à la concurrence (Canal+, Netflix, StarTimes…) ?

B.T : Nous continuons à évoluer sur le plan technologique et accompagnons les nouvelles habitudes de consommation de nos clients, notamment la migration vers le divertissement en ligne. Nous y répondons par une offre qui comprend notamment DStvapp – une application mobile permettant aux clients de DStv de diffuser des programmes en continu sur un maximum de cinq appareils. Nous avons également Showmax, notre service de vidéo à la demande par abonnement en ligne, qui est actuellement disponible dans 50 pays d’Afrique. De manière plus large, le contenu local reste au cœur de notre stratégie de différenciation. L’époque où le contenu international était la principale source de consommation sur le continent est révolue. Nous proposons actuellement plus de 100 chaînes dédiées à la diffusion de contenus locaux sur nos plateformes DStv et GOtv à nos plus de 20 millions d’abonnés en Afrique subsaharienne. Pour la seule Afrique de l’Ouest, nous avons investi 428,6 millions de dollars américains dans le développement de talents créatifs locaux. Nous avons également simplifié les options de paiement, introduit des plateformes de gestion de compte en libre-service et renforcé notre réseau d’installateurs.


Quels types de programmes vos clients consomment-ils principalement (fiction, actualité, sport…) ? Et quelle est la part des contenus africains par rapport à l’ensemble de votre offre ?

B.T : Les contenus africains représentent plus de la moitié de notre offre totale et sont toujours en tête des tendances d’audience. Au niveau des programmes suivis, bien que le sport- en particulier le football- continue de bénéficier d’une large audience, nous constatons une popularité et un impact croissants des émissions de télé-réalité. La franchise Big Brother, BBNaija, en est un bon exemple.  DE manière générale, le contenu local- en anglais et dans les langues des pays concernés- est très regardé, comme en témoigne la popularité de nos chaînes Africa Magic et Akwaaba Magic.

Busola Tejumola, Directrice exécutive des chaînes & des contenus pour l’Afrique de l’Ouest ©DR


L’industrie cinématographique africaine reste encore sous-financée et sous-développée par rapport au reste du monde. Comment cela s’explique-t-il et comment des entreprises telles que la vôtre peuvent-elles contribuer à changer cette situation ?

B.T : L’industrie cinématographique du continent a toujours souffert d’un sous-financement. Elle est également assaillie par l’informalité à de nombreux égards et menacée par le piratage, qui lui fait perdre environ 50 % de ses revenus potentiels au profit de l’exploitation illégale. Cela freine naturellement les investissements structurés. Il existe également des lacunes en matière de compétences et d’éducation, qui empêchent les professionnels africains du cinéma de suivre le rythme des avancées technologiques dans les sociétés plus développées. Nous ne pouvons pas non plus omettre de parler des déficits en matière d’infrastructures, la distribution étant toujours bien en deçà des normes que l’on trouve sur les marchés cinématographiques plus développés.

Au niveau maintenant des initiatives à prendre pour changer cette donne, nous avons de notre côté créé le projet MultiChoice Talent Factory (MTF), qui comporte trois points de contact : l’Académie, les Masterclasses et le portail MTF. L’Académie offre aux aspirants cinéastes une formation d’un an, tous frais payés, à la réalisation de films et à l’exercice du métier, tout en élargissant leur vision de l’activité cinématographique. Les MTF Masterclasses sont quant à eux conçus pour perfectionner les professionnels déjà en exercice, tandis que le portail MTF offre une plateforme continentale de collaboration entre cinéastes.


Comment voyez-vous l’évolution du secteur en Afrique au cours de la prochaine décennie ? Et quels sont les principaux projets que MultiChoice compte réaliser dans la période à venir ?

B.T : Nous nous attendons à une augmentation de la pénétration de l’Internet, qui aura un impact certain sur les services de vidéo à la demande. De même, l’utilisation de la télévision par satellite devrait continuer à croître, l’Afrique devant compter 18 millions d’abonnés supplémentaires à la télévision payante entre 2021 et 2027. En outre, l’accord de libre-échange continental africain (Zlecaf), s’il est pleinement mis en œuvre, pourrait ouvrir un marché unique de 1,3 milliard d’habitants avec un PIB potentiel de 3400 milliards de dollars. Par ailleurs, avec la mondialisation croissante, l’adoption des technologies et l’hybridation de la culture de consommation mondiale, on s’attend à ce que le divertissement africain voyage encore plus loin à travers le monde grâce à l’immigration et à la diaspora croissante de consommateurs qui continueront à rester connectés au continent-mère tout en influençant la culture populaire mondiale. En somme, cela ouvre une grande opportunité pour les créatifs et les créateurs de contenu du continent.


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