Dix ans après avoir lancé l’Africa SME Champions Forum pour remettre les PME africaines au cœur des priorités économiques du continent, Didier Acouetey observe des avancées de la part des institutions financières, qui essayent d’offrir des solutions adaptées pour améliorer l’accès des PME africaines au financement. L’initiateur du forum revient sur les avancées réalisées, tout en soulignant les défis persistants pour faire émerger les champions économiques africains de demain.
Propos recueillis par Patrick Ndungidi
Forbes Afrique : L’Africa SME Champions Forum existe depuis dix ans et, sa 9e édition s’est tenue à Abidjan en octobre dernier*. Quels sont les objectifs du forum ?
Didier Acouetey : Les PME en Afrique ne sont pas assez intégrées dans les politiques publiques, malgré le fait qu’elles représentent 95 % du secteur privé. Cependant, elles demeurent très petites, puisque plus de 50 % sont des TPE (Très Petites Entreprises) composées d’une à trois personnes et avec un faible chiffre d’affaires. Ces PME contribuent seulement à 30-40 % du PIB du continent, bien loin de la norme observée ailleurs, notamment en Chine ou aux États-Unis, où elles génèrent jusqu’à 70-80 % du PIB et sont les plus grands employeurs. C’est dans ce contexte que nous avons créé le forum, avec pour premier objectif de remettre les PME africaines au cœur du développement économique du continent et des priorités africaines. Le deuxième objectif est de leur fournir des outils pratiques pour leur développement rapide, notamment des sessions de formation sur l’accès au financement ou les stratégies de croissance, ainsi que des conseils pour des rapprochements stratégiques. Enfin, le troisième objectif du forum est de faciliter les rencontres entre les PME, les banques, les fonds d’investissement, les banques de développement, les gouvernements et les grandes entreprises. Cet écosystème vise à créer une plateforme de soutien pour les PME, leur permettant d’accéder à des financements et de développer des partenariats stratégiques.
« Les PME en Afrique contribuent seulement à 30-40 % du PIB du continent, bien loin de la norme observée ailleurs, notamment en Chine ou aux États-Unis, où elles génèrent jusqu’à 70-80 % du PIB »
Quel est aujourd’hui l’impact de ce forum sur les PME africaines ?
D. A. : En dix ans, nous avons constaté des progrès notables. Des acteurs majeurs comme la BADEA (Banque arabe pour le développement économique en Afrique), Afreximbank ou encore la BOAD (Banque ouest-africaine de développement), qui font partie des partenaires stratégiques du forum, ont commencé à mettre en place des instruments spécifiques de financement en faveur des PME. Les banques, bien que conscientes des risques, tentent de trouver des solutions innovantes comme la digitalisation pour faciliter l’accès au financement, ou grâce à l’appui d’instruments de garantie proposés par des fonds comme African Guarantee Fund (AGF) ou le Fonds africain de garantie et de coopération économique (FAGACE). Ces progrès permettent de réduire les risques perçus par les institutions financières et favorisent l’accès des PME au crédit.
« En dix ans, nous avons constaté des progrès notables (…) Ils permettent de réduire les risques perçus par les institutions financières et favorisent l’accès des PME au crédit »
La Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), quant à elle, a créé un compartiment dédié aux PME, leur offrant ainsi la possibilité de lever des fonds. Cette année, nous avons signé un partenariat stratégique entre la BADEA et la BRVM pour améliorer l’accès des PME de l’UEMOA aux marchés de capitaux. L’impact du forum commence à se matérialiser, bien qu’il reste un travail de longue haleine.
Le thème de la dernière édition était « L’émergence des géants industriels » et vous avez ciblé les 100 meilleures PME d’Afrique. Pourquoi ces choix ?
D. A. : Une entreprise peut généralement se développer grâce à la croissance interne ou la croissance externe. Il y a certes des stratégies alternatives de croissance intégrant l’innovation, la diversification, l’internationalisation, etc. Mais la croissance interne est souvent longue et coûteuse, tandis que la voie externe permet une expansion plus rapide grâce à des partenariats ou des acquisitions. Devenir un géant industriel requiert une taille critique et une capacité à absorber des investissements. Les entreprises en Afrique grandissent souvent seules et ont du mal à accéder aux financements nécessaires, car leur taille et leur structure ne permettent pas d’absorber ces ressources. Une banque ou un fonds d’investissement est en général plus confortable pour financer une entreprise de grande taille, souvent mieux organisée qu’une PME, avec un certain volume d’activités qui permet d’absorber le financement. En outre, le suivi est plus simple pour la banque ou l’investisseur. Cela étant dit, la taille ne constitue pas forcément une garantie de solvabilité. C’est pourquoi nous avons décidé de cibler cette année les 100 meilleures PME d’Afrique. Ces dernières ont déjà traversé un certain nombre d’étapes dans leur développement et peuvent donc grandir plus vite, en entraînant dans leur sillage les petites entreprises qui aspirent à devenir également des géants économiques et des géants industriels. Il est donc essentiel de rassembler ces acteurs économiques afin de favoriser les échanges et d’explorer des opportunités de collaboration. Une telle synergie leur permettra de conquérir de nouveaux marchés plus rapidement, d’accéder à davantage de financements, et de se positionner comme des leaders de premier plan dans leurs secteurs respectifs. Par exemple, des entreprises comme MCT à Abidjan et Zener au Togo illustrent ce potentiel de croissance rapide grâce à des acquisitions et des partenariats stratégiques.
À ce sujet, dans quels secteurs voyez-vous le plus d’opportunités pour les PME aujourd’hui ?
D. A. : Tous les secteurs sont en croissance en Afrique, mais l’ampleur de cette croissance varie. L’éducation, par exemple, connaît un développement phénoménal, avec des entreprises, comme Enko Education, qui investissent dans des écoles pour offrir une éducation de qualité et répondre à une demande croissante. D’autres secteurs à fort potentiel incluent les infrastructures, l’énergie, l’agroalimentaire, la santé, le tourisme et les industries créatives. Le secteur sportif, souvent négligé, pourrait également rapporter des centaines de milliards de dollars à l’Afrique s’il était considéré comme une véritable industrie. Les secteurs doivent être perçus comme des moteurs de croissance et de création d’emplois, ce qui est d’autant plus crucial face au défi de l’emploi des jeunes en Afrique. Le SME Forum œuvre pour identifier et soutenir les entreprises capables de générer des emplois et de stabiliser le continent à la fois économiquement et politiquement.
Les PME africaines font malheureusement face à un réel déficit de financement. Comment y remédier ?
D. A. : Le déficit de financement des PME en Afrique est estimé à plus de 300 milliards de dollars. Pour combler ce gap, il est crucial de mobiliser des fonds à travers plusieurs sources : les gouvernements, qui peuvent emprunter à faible coût pour réinjecter des ressources dans le système financier ; les banques de développement, qui ont la capacité de mobiliser des ressources à grande échelle ; et les investisseurs institutionnels, comme les fonds de pension, qui commencent à jouer un rôle important dans le financement des PME, à l’instar de ce que fait la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) de la Côte d’Ivoire. Elle gagne de l’argent pour ses assurés en plaçant ses ressources dans le secteur financier auprès des fonds d’investissement, de banques commerciales et d’autres instruments.
« Les fonds de pension (…) commencent à jouer un rôle important dans le financement des PME, à l’instar de ce que fait la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) de la Côte d’Ivoire »
Les mécanismes financiers sont là, mais il faut des priorités politiques pour qu’ils soient mis en œuvre efficacement. L’argent à investir dans les PME doit être destiné à celles qui ont un potentiel de croissance avéré et une gouvernance solide. L’objectif est de faire en sorte que ces entreprises puissent réussir et entraîner dans leur sillage d’autres PME, qui pourront à leur tour devenir des champions économiques.
« Les mécanismes financiers sont là, mais il faut des priorités politiques pour qu’ils soient mis en œuvre efficacement »
Quels sont les autres défis auxquels les PME africaines font face aujourd’hui et comment le forum les aide-t-il à les relever ?
D. A. : Parmi les principaux défis des PME africaines, on peut citer l’organisation, la gouvernance et la qualité du management. Une bonne organisation est essentielle pour permettre à une PME de structurer ses fonctions et de gérer efficacement ses ressources humaines et financières. Les PME africaines doivent aussi se doter de ressources humaines, ce qui est souvent un challenge pour elles en raison des coûts élevés de ces compétences.
« Parmi les principaux défis des PME africaines, on peut citer l’organisation, la gouvernance et la qualité du management »
Quelle est votre vision à long terme pour les PME en Afrique ?
D. A. : L’ambition est de faciliter l’émergence de géants industriels en Afrique d’ici dix ans, capables de transformer le continent et d’offrir suffisamment d’emplois pour les jeunes.
« L’ambition est de faciliter l’émergence de géants industriels en Afrique d’ici dix ans, capables de transformer le continent et d’offrir suffisamment d’emplois pour les jeunes »
*Cette 9e édition s’est tenue les 9 et 10 octobre 2024.
Bio Express
Didier Acouetey préside le groupe AfricSearch, un cabinet de référence spécialisé dans le recrutement de talents et la gestion des ressources humaines sur le continent africain. En 2013, il cofonde et devient secrétaire général de la première Chambre de commerce Afrique-Asie du Sud-Est, basée à Singapour, qui joue un rôle stratégique dans le développement de partenariats économiques entre entreprises et institutions des deux continents. En 2014, il lance la première édition de l’Africa SME Champions Forum en partenariat avec des institutions de premier plan telles que la Banque africaine de développement, l’African Guarantee Fund, Afreximbank, la SFI et Ecobank. Ce forum est dédié à la promotion et au soutien des PME africaines. Il siège également dans plusieurs institutions financières de renom et collabore activement avec des fondations internationales qui œuvrent pour l’entrepreneuriat et l’emploi des jeunes. Didier Acouetey est titulaire d’un MBA de l’École supérieure de commerce de Paris, et de deux diplômes de 3e cycle en commerce international et marketing industriel. Il a également suivi des programmes de perfectionnement en management dans des institutions internationales prestigieuses, dont la Harvard Business School, renforçant ainsi son expertise en leadership et en développement des affaires.
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