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Nadia Fettah Alaoui, la pionnière

Son arrivée dans le monde politique, en 2019, avait surpris. Connue jusque-là comme une personnalité brillante du monde de la finance, Nadia Fettah Alaoui est devenue, deux ans plus tard, la première femme de l’histoire du Maroc à diriger le prestigieux ministère de l’Économie et des Finances. Portrait d’une militante pour l’égalité des chances, qui se démarque par sa rigueur et sa pugnacité.

Par Raissa Okoi Paru dans le FA76

« Nadia Fettah Alaoui a la grille de lecture pour comprendre les relations du Maroc avec les institutions extérieures, car elle est très appréciée par les professionnels politiques ou issus de l’univers de l’entreprise et de la finance »

« J’ai fait du tourisme sans touristes et de la finance sans argent », nous glisse, d’emblée, celle que l’on surnomme « NFA » (pour Nadia Fettah Alaoui). Si la phrase peut faire sourire, elle illustre les contextes difficiles dans lesquels cette femme de 52 ans a pris ses fonctions de ministre, d’abord au Tourisme (en octobre 2019) et désormais à l’Économie et aux Finances. Si elle n’a jamais ouvertement envisagé de carrière politique, NFA fait partie de la nouvelle génération d’experts au service de la nation que Mohamed VI a appelé de ses voeux en 2021. Pour mettre en oeuvre son Nouveau modèle de développement (NMD), le roi a en effet souhaité « renouveler et enrichir les postes de responsabilité (…) », afin qu’émergent « de nouvelles compétences (…) au sein des institutions et des instances politiques, économiques et administratives ».

Fierté marocaine et réussite africaine

Née en 1971 à Rabat, cette championne des affaires est issue d’une famille de notables. Son père, Mohamed Fettah (disparu en 2016), fut ministre des Mines et de l’Énergie, puis directeur général de l’Office chérifien des phosphates (OCP). Au sujet de sa mère, décédée en juin dernier, l’argentière du royaume confiait en 2019 que cette femme « brillante et très cultivée n’avait pas eu les moyens de poursuivre des études secondaires, car elle avait dû commencer à travailler dès ses 17 ans ». Fière de ses origines, NFA est un pur produit de l’école publique marocaine. Elle y a fait toutes ses classes, avant de rejoindre HEC Paris. Dès la fin de ses études en 1994, elle retourne dans son pays pour travailler au sein du cabinet d’audit Arthur Andersen, à Casablanca. Elle passe ensuite aux assurances, puis rejoint le fonds d’investissement AfricInvest. En 2005, sa trajectoire prend un tournant : elle décide de suivre Moulay Hafid Elalamy, fondateur de la compagnie d’assurances CNIA (qui deviendra Saham), comme directrice générale chargée du pôle support et finances. Le groupe Saham entame sa conquête de l’Afrique et en 2010, alors qu’il est numéro trois de l’assurance au Maroc, il s’installe dans onze nouveaux pays. Grâce à une série de fusions- acquisitions qu’accompagne NFA, Saham devient un véritable mastodonte continental, réunissant, en 2017, 35 compagnies d’assurances dans 26 pays d’Afrique, ainsi que 3 000 employés et des millions de clients. Passée directrice générale déléguée des finances, Nadia Fettah Alaoui pilote durant un an les négociations précédant la cession de Saham Finances au groupe sud-africain Sanlam, pour plus d’un milliard de dollars (920 millions d’euros). Un coup de maître qui la propulse au comité exécutif de Sanlam Emerging Markets, puisqu’elle est nommée directrice générale de Sanlam Pan Africa. Elle devient aussi directrice générale adjointe de Saham Assurances, puis présidente du conseil d’administration de Saham Assurances Maroc. La consécration survient en 2018 lors du forum Africa CEO, quand elle est élue CEO de l’année à Abidjan. Figure incontournable des affaires, NFA est désormais une identité remarquable que sa renommée précède… jusque dans les arcanes du palais royal. Nadia Fettah Alaoui arrive en politique en 2019, à la faveur d’un remaniement ministériel qui la conduit à la tête du ministère du Tourisme, de l’Artisanat, du Transport aérien et de l’Économie sociale (TATAES). Au Maroc, c’est la première fois qu’une femme est nommée à de telles fonctions. Et la surprise est d’autant plus grande que cette experte de la finance n’affiche aucune affiliation partisane. Hautement stratégique (le tourisme pèse pour près de 10 % dans l’économie nationale), son ministère requiert une direction rigoureuse. En pleine crise sanitaire, NFA parvient à rassembler les professionnels du secteur autour d’un contrat-programme volontariste. « La crise a permis aux acteurs qui ne se parlaient plus de travailler main dans la main (…) », explique-t-elle. « Il fallait mettre toutes les forces ensemble pour traverser cette crise bon an mal an, et de façon la plus résiliente ».

De l’expertise de l’entreprise à la haute fonction publique

La ministre, qui a décidé de mettre le cap sur le tourisme local, parvient à garder à flot ce secteur, raflant au passage le Golden Award du meilleur design intérieur en tant que commissaire du Pavillon du Maroc à l’Exposition universelle de Dubaï. Relancer l’activité touristique sinistrée tout en valorisant les partenaires privés s’avère une stratégie payante : en à peine deux ans, NFA est reconduite dans ses fonctions par le nouveau premier ministre Aziz Akhannouch, président du Rassemblement national des indépendants (RNI). Cette formation politique, qui a renversé aux élections le Parti de la justice et du développement (PJD), a renouvelé ses effectifs et réunit désormais de nombreuses connaissances de NFA, à l’instar de Moulay Hafid Elalamy. Et c’est sans grande surprise qu’elle intègre le bureau politique du RNI, fin octobre 2019.

« Nous accueillons le monde chez nous »

Le 7 octobre 2021, un nouveau défi lui est proposé : le lourd portefeuille de l’Économie et des Finances du gouvernement Akhannouch. Sa nomination est saluée par de nombreux observateurs, parmi lesquels Hichem Ben Yaïche d’African Business Magazine, qui analyse : « Nadia Fettah Alaoui a la grille de lecture pour comprendre les relations du Maroc avec les institutions extérieures, car elle est très appréciée par les professionnels politiques ou issus de l’univers de l’entreprise et de la finance ». Plusieurs chantiers majeurs l’attendent. Outre la gestion courante des finances publiques, elle doit trouver les moyens d’établir la couverture sociale générale pour tous les Marocains, tout en alimentant le Fonds Mohammed VI pour l’investissement. Deux chantiers qui représentent déjà une enveloppe de 96 milliards de dirhams, soit près de 9 milliards d’euros. Le contexte de crise post-Covid, d’inflation et de grave endettement qui caractérise le pays ne semble pas effrayer NFA : « Travailler dans l’adversité et le stress est très stimulant pour moi », dit-elle. Prônant le travail collectif, la nouvelle ministre passe aussitôt à l’action, en allant à la rencontre de tous les acteurs, des petits producteurs aux grands investisseurs. « Ce qui importe à mes yeux, c’est un ancrage, souligne-t-elle : avoir les pieds sur terre, être dans la vraie vie. C’est garder le contact avec tout le monde, être pragmatique. (…) Notre rôle est de travailler sur des politiques publiques qui règlent des problématiques en préservant les équilibres ». Cette pondération et cette pleine mesure des responsabilités confèrent à la ministre un capital sympathie qui lui vaut le respect des partenaires institutionnels et internationaux. De passage à Washington lors des Réunions de printemps du Groupe de la Banque mondiale (GBM) en février 2023, elle rappelle à l’envi le message du roi : « We want Trade, not Aid » (« Nous voulons des opportunités commerciales, pas de l’aide », en français). Pour cela, aucun allié n’est privilégié, mais aucune relation n’est négligée. « Nous accueillons le monde chez nous, travaillons avec tout le monde, sans dogme ni a priori (…) et nous pouvons être un pont entre l’Afrique et les Amériques ou l’Asie, etc. Nous savons donc défendre nos intérêts et tirer bénéfice de nos partenariats. » Le Maroc est donc prêt à commercer avec tous ceux qui le souhaitent, conformément au souhait du roi, et la ministre ne rate aucune occasion de vanter les atouts du royaume pour nouer des partenariats gagnant gagnant avec des pays étrangers. En « locomotive » du continent, le « pays du couchant lointain » entend bien saisir l’occasion des Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), du 9 au 15 octobre 2023 à Marrakech, pour « participer à la conversation globale et profiter de ce moment pour porter la voix de l’Afrique et des pays à revenus intermédiaires ».

« Ce qui importe à mes yeux, c’est un ancrage : avoir les pieds sur terre, être dans la vraie vie. C’est garder le contact avec tout le monde, être pragmatique »

Le succès au féminin

Première femme à occuper des ministères aux enjeux particulièrement stratégiques, NFA évoque régulièrement le rôle des femmes dans la mise en place d’économies résilientes. Ce fut le cas notamment lors du World Government Summit 2022, à Dubaï, où elle a rappelé l’urgence des réformes destinées à inclure davantage de femmes aux postes de décision. « Nous avons besoin de quotas, de lois (…), nous avons besoin de financer les femmes, de les inclure dans les emplois et les instances de décision, car nous ne pouvons pas attendre. Beaucoup a été fait, mais les lois et les réformes aideront. Je suis fière de dire qu’au Maroc, une budgétisation favorisant l’égalité des genres est en cours ». NFA, qui se sait privilégiée, n’a pas attendu pour soutenir celles qui disposent de moins d’opportunités. Dès 2012, elle a cofondé le Club des femmes administrateurs d’entreprises au Maroc (CFA), pour sensibiliser sur la place des femmes dans les instances de décision des hautes administrations et des grandes entreprises. « Beaucoup de femmes de ma génération pensaient que le combat était gagné par nos mères et nos grand-mères, et que nous étions chanceuses car on travaillait, analyse celle qui est aussi mère de deux enfants. Mais plus on monte dans la hiérarchie et dans les conseils d’administration, plus on se rend compte que nous sommes des exceptions, que nous avons eu de la chance ». Et d’observer : « Je suis devenue très active sur ce champ de bataille et c’est peut-être aussi par ce biais que mon nom est parvenu jusqu’au gouvernement ». L’idée n’est pas si saugrenue puisque depuis 20 ans, Mohamed VI a profondément modernisé le statut, le rôle et la place de la femme marocaine. Lors du World Government Summit, NFA se félicitait des avancées relatives à la place des Marocaines dans la sphère publique. Outre la présence de sept femmes (sur 24) à des postes ministériels en 2021, elle soulignait : « Il y a presque 26 % de femmes au Parlement (…). Au niveau local, les maires des trois plus importantes villes marocaines sont des femmes et ce sont des femmes qui gèrent l’association des régions. Avoir ce genre de positions est donc une bonne façon de montrer comment les femmes ont une manière de gérer les problèmes, d’affronter la crise, de proposer des solutions qui peuvent être différentes, innovatrices, créatives ».

Nadia Fettah Alaoui et Ngozi Okonjo Iweala ©Droits Réservés

Parcours inspirants

Pour NFA, le combat se livre aussi sur un terrain éloigné des ministères : le Rallye Aïcha des Gazelles, dont elle préside le comité RSE, succédant à la Française Christine Lagarde, première femme nommée ministre de l’Économie dans un pays du G8, avant de devenir la première femme directrice générale du FMI (hors périodes d’intérim), puis présidente de la Banque centrale européenne (BCE). Aussi, si Nadia Fettah Alaoui figurait déjà en 2018 sur la liste des 50 femmes influentes du continent, son leadership se voit renforcé par la force de ce réseau international constitué de puissantes femmes de pouvoir aux profils parfois très similaires, comme la Nigériane Ngozi Okonjo Iweala, première Africaine à diriger l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Des parcours inspirants et de bon augure pour elle, car les étoiles de ses aînées brillent bien au- delà des plafonds de verre qu’elles continuent de faire voler en éclats. En attendant, pour l’ambitieuse NFA, les chantiers et les combats continuent.

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