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Transformer la Dette en Nourriture (Part. I)

Comment résoudre simultanément le problème de l’insécurité alimentaire et celui de la dette souveraine excessive des marchés émergents ? Andrea Lundh, agronome spécialiste en sécurité alimentaire, et Elena L. Daly, avocate internationale spécialisée dans la restructuration de dette souveraine, nous livrent des pistes de réflexion.

Par Andréa Lundh et Elena L. Daly


En Afrique subsaharienne (« ASS »), plus de 278 millions de personnes sont sous-alimentées. Ce chiffre représente 23 % de la population, soit le taux le plus élevé au monde selon la FAO. Alors que 60 % des terres arables du monde se trouvent en Afrique, les pays d’Afrique subsaharienne sont confrontés à la situation absurde d’importateurs nets de denrées alimentaires. Des montants stupéfiants de devises fortes et rares sont dépensés chaque année pour l’importation de denrées alimentaires.

La Banque africaine de développement (BAD) estime qu’en 2025, les importations alimentaires devraient dépasser 110 milliards de dollars par an pour les céréales (blé et riz), les aliments transformés, la viande et les produits laitiers, le sucre, le poisson et les fruits de mer, et même les fruits et légumes. Ces montants n’incluent même pas les importations de semences, d’engrais et de machines.

La faim en Afrique est principalement due à la prévalence des conflits armés, à la surpopulation, aux conditions météorologiques extrêmes et aux risques naturels induits par le changement climatique, ainsi qu’aux prix élevés des denrées alimentaires et à l’instabilité des chaînes d’approvisionnement. Mais aujourd’hui, les obstacles structurels aggravent à leur tour l’échec collectif dans la lutte contre et l’insécurité nutritionnelle et alimentaire en Afrique subsaharienne, malgré les efforts remarquables déployés par la FAO, le PAM et d’autres agences nationales de coopération.

« Aujourd’hui, les obstacles structurels aggravent à leur tour l’échec collectif dans la lutte contre et l’insécurité nutritionnelle et alimentaire en Afrique subsaharienne »


Un Endettement Persistant

Ces obstacles structurels incluent le manque de politiques et visions, l’absence de bonne gouvernance, la prévalence de déséquilibres commerciaux prohibitifs qui perpétuent la dépendance des pays d’Afrique subsaharienne à l’égard des importations alimentaires ; mais aussi les programmes qui favorisent les monocultures et les grandes exploitations agricoles au détriment des PME et de l’agriculture à petite échelle, ainsi que l’absence de projets cohérents et durables de renforcement des capacités. Le manque de capitaux locaux et étrangers et d’investissements directs dans le secteur agricole demeure néanmoins, et de loin, la cause la plus importante de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle.

« Le manque de capitaux locaux et étrangers et d’investissements directs dans le secteur agricole demeure, et de loin, la cause la plus importante de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle »


Un Dilemme Kafkaïen Entre la Dette et la Nourriture

L’indisponibilité des capitaux est largement liée à la taille colossale de la dette souveraine dans les pays subsahariens. Cette situation devient encore plus désespérée avec l’impact des multiples chocs mondiaux, y compris la Covid et l’invasion russe de l’Ukraine en 2022.

Ces pays sont confrontés à un dilemme kafkaïen entre la dette et la nourriture. Pour éviter un défaut de paiement, ils optent souvent pour des programmes d’ajustement structurel qui laissent peu d’espace budgétaire pour des projets d’investissement agricole essentiels, ce qui aggrave d’autant l’insécurité alimentaire.

La Banque mondiale a désigné la dette publique insoutenable comme le principal obstacle au développement, en particulier en Afrique subsaharienne, où le volume de la dette publique nominale a plus que triplé depuis 2010. Elle atteint environ 1,14 trillion de dollars américains à la fin de l’année 2022.

Si la composition de la dette publique de l’Afrique subsaharienne a changé au cours des dix dernières années (principalement en raison de l’augmentation de la part de la dette bilatérale due aux créanciers chinois et aux euro-obligations), la part de la dette bilatérale des pays du Club de Paris libellée en devises étrangères est restée substantielle.


 Une Structure de Transaction qui Réduise les Engagements Extérieurs du Pays Débiteur

Les initiatives visant à améliorer l’un ou l’autre de ces deux problèmes (insécurité alimentaire et dette souveraine excessive des marchés émergents) sont louables. Mais les techniques et les structures de transaction qui s’attaquent simultanément aux deux problèmes sont particulièrement souhaitables, car elles permettent aux donateurs de « cocher les deux cases » de leur carte de pointage de l’aide étrangère et de l’humanitaire.

Une structure de transaction de ce type a été mise au point il y a deux ans par une ONG humanitaire et pourrait facilement être adaptée pour traiter le problème de l’insécurité alimentaire.

Dans une situation typique, un pays d’Afrique subsaharienne aura contracté des prêts libellés en devises étrangères auprès des gouvernements des pays créanciers (appelés « dettes bilatérales »). Le soutien au secteur agricole national du pays débiteur nécessitera toutefois pour partie des injections de monnaie locale. Les contraintes budgétaires limitent souvent le montant que le gouvernement débiteur peut consacrer à cet objectif et le simple fait d’« imprimer » la monnaie locale nécessaire à l’augmentation de la production agricole risque d’avoir des effets monétaires négatifs tels que l’inflation.

Ce qu’il faudrait donc, c’est une structure de transaction qui réduise les engagements extérieurs (libellés en devises étrangères) du pays débiteur, dégageant ainsi la marge de manœuvre budgétaire justifiant le déblocage d’un soutien en monnaie locale pour le secteur agricole national.


Une Transaction Plus Rationnelle et Plus Économique

Les mécanismes de conversion de la dette traditionnelle contre des projets verts et les structures de transaction similaires sont lourds et inefficaces. Ils exigent généralement qu’un tiers-parrain négocie l’achat d’un instrument de dette libellé en devises étrangères émis par le gouvernement débiteur, suivi de l’annulation de cet instrument en échange du déboursement d’un montant convenu en monnaie locale.

Pour ce faire, le promoteur de la transaction doit (i) faire appel aux donateurs pour obtenir les liquidités nécessaires à l’achat du titre de créance sur le marché, (ii) négocier et exécuter l’achat de ce titre, (iii) ouvrir un compte auprès d’une institution financière dépositaire pour détenir le titre et (iv) négocier avec le gouvernement débiteur les conditions d’annulation du titre en échange de la monnaie locale.

Il est possible de mettre en place une structure de transaction plus rationnelle et plus économique. Cette structure permettrait le financement en monnaie locale de projets agricoles locaux par la conversion d’une partie de la dette extérieure du pays bénéficiaire.

Elle comprendrait les étapes suivantes :

  • Une ONG identifie dans le pays bénéficiaire un projet agricole nécessitant un financement largement libelle en monnaie locale et préparent une description et une proposition de budget pour ce projet.
  • L’ONG sollicite l’intérêt d’un ou plusieurs créanciers bilatéraux du pays bénéficiaire pour le financement du projet et obtient l’accord des autorités financières locales pour l’opération.
  • Le pays créancier bilatéral accepte d’annuler dans ses livres une partie convenue d’un prêt en devises au pays bénéficiaire.
  • Les autorités financières du pays bénéficiaire (la banque centrale ou le ministère des Finances) transfèrent un montant convenu en monnaie locale sur un compte approuvé par les trois parties – l’ONG, les autorités du créancier bilatéral et les autorités du pays bénéficiaire.
  • Sous la supervision de l’ONG, les fonds sont prélevés sur ce compte bancaire pour financer le projet approuvé.
  • Le créancier bilatéral et les autorités locales reçoivent chacun des rapports réguliers et complets sur l’utilisation des fonds.

En réalité, cette structure permet au pays bénéficiaire de monétiser – en monnaie locale – une partie de ses engagements extérieurs.

« Cette structure permettrait le financement en monnaie locale de projets agricoles locaux par la conversion d’une partie de la dette extérieure du pays bénéficiaire »

Le créancier bilatéral motivé par le projet agricole permet qu’une partie de son prêt libellé en devises étrangères soit libérée en monnaie locale pour financer le projet localement. Dans la pratique, le débiteur souverain doit toujours s’acquitter de sa dette, mais dans une autre devise (la sienne). Vu sous cet angle, la structure de conversion de la dette n’implique pas de «remise » ou d’« annulation » de la dette, une qualification que de nombreux pays africains souhaiteront éviter pour des raisons de notation de crédit.

Du point de vue du pays bénéficiaire, une opération de ce type réduira l’encours de la dette libellée en devises étrangères, améliorera les ratios dette/PIB et conservera une partie de ses réserves de change (qui, sinon, auraient été consacrées au service de la dette extérieure).

« La structure de conversion de la dette n’implique pas de « remise » ou d’« annulation » de la dette, une qualification que de nombreux pays africains souhaiteront éviter pour des raisons de notation de crédit »


Une Formidable Opportunité d’Investissement dans l’Agriculture

Étant donné que cette opération de conversion de la dette n’impliquerait pas de demande d’allègement de la dette, la décision de participer ou non à cette structure pour un pays en développement donné restera entièrement à la discrétion de chaque créancier bilatéral et de chaque débiteur bilatéral.

En s’engageant dans une telle conversion, outre une réduction substantielle de la taille de la dette extérieure résultant pour un pays en développement donné, il s’agit d’une formidable opportunité d’investissement favorisant un développement agricole si nécessaire.


Andréa Lundh et Elena L. Daly

Andréa Lundh, est agronome, diplômée de l’Université suédoise des sciences agricoles, également présidente de l’ONG Stockholm Initiative for Food Security. Elena L. Daly est avocate internationale, membre du Barreau de New York, et spécialisée dans la restructuration de dette souveraine.



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