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Comment Se Construire Dans La Durée ?

Pour les familles d’entrepreneurs qui aspirent à durer, l’avertissement de Machiavel dans Le Prince (1515) reste d’une brûlante actualité : heureux celui dont l’action s’accorde aux conjonctures, malheureux celui qui s’y oppose. Car bâtir une entreprise ne suffit pas : encore faut-il continuellement s’adapter pour la protéger des crises politiques, des pressions concurrentielles et des mutations sociales. Cette résilience se construit autour de quelques repères qui sont autant de garde-fous distinguant les fortunes éphémères des véritables lignées d’affaires. Analyse

Par Pokou Ablé


Dans leur ouvrage Nouveaux Patrons, Nouvelles Dynasties (1990), les sociologues français Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot formulent deux constats : on ne crée pas une dynastie du premier coup ; et la fortune familiale à elle seule ne suffit jamais. Cette analyse résonne particulièrement en Afrique, où l’essor des années 1970 à 1990 a vu naître une génération d’entrepreneurs à succès, mais dont très peu ont su transformer leur réussite individuelle en héritage collectif. Car l’enjeu ne réside pas dans l’accumulation, mais dans la pérennisation. Comment passer d’une entreprise à succès à un empire familial ? Réponse en cinq points.


1. Préparer Tôt La Relève, Sans Enfermer Les Vocations

La transmission s’anticipant sur le temps long (vingt à trente ans parfois), les héritiers doivent être immergés très tôt pour comprendre l’entreprise dans sa globalité… et prendre la main si nécessaire. Le cas du groupe algérien Cevital, dirigé de 1998 à 2022 par Issad Rebrab, illustre d’ailleurs le risque pour un fondateur de lâcher prise trop tard ou par nécessité. Même si, à l’inverse, toutes les trajectoires ne se confirment pas toujours : le fils Akhannouch (DJ Ahmed Spins) s’est tourné vers la musique, et la fille de George Forrest, Rowena, a préféré le design au groupe familial. La clé est de préparer sans contraindre, en laissant émerger les plus motivés et compétents.


2. Faire Preuve De Lucidité Sur Les Compétences Et Les Limites De Chacun

La succession ne peut être un droit automatique : toutes les vocations ne sont pas appelées à se réaliser, et parfois le droit d’aînesse cède devant le devoir de compétence. C’est notamment le cas chez les Rebrab, où, après le retrait du fondateur, c’est le fils cadet, Malik, qui a pris la tête de Cevital. « Le BTP est un monde dur, cette voie n’est pas faite pour tous », admet Oumar Sow, à la tête du groupe Compagnie Sahélienne d’Entreprises (CSE). Même pragmatisme chez les Obambi où « Papa Paul » a réparti très tôt les responsabilités selon les parcours. Car hériter, c’est aussi mériter.


3. Ménager Les Anciens Cadres Tout En Injectant Du Sang Neuf

La continuité repose aussi sur la fidélité des cadres qui accompagnent la transition. Chez les Sawiris, Osama Bishai, entré chez Orascom en 1985, reste le garant de la culture maison aux côtés de Nassef Sawiris dont il est devenu le bras droit. Même schéma chez SIFCA, dont l’héritage managérial de figures tutélaires comme Yves Lambelin perdure à travers son fils adoptif. Et chez Cevital, Malik Rebrab s’appuie encore sur des fidèles de son père, à l’image d’Hamid Chader, qui encadre la distribution depuis plus d’une décennie. Cet équilibre entre mémoire vivante et sang neuf permet de traverser les générations sans rupture brutale.


4. Cultiver l’Excellence Et Le Sens Des Responsabilités Vis-à-Vis De La Société

L’éthique entrepreneuriale constitue le socle du capital social : c’est elle qui fonde la confiance qu’un groupe inspire. Pour les familles des fondateurs, elle s’incarne souvent dans l’exigence d’excellence et le devoir de servir. En Côte d’Ivoire, les Kié ont fait de l’excellence académique une règle intangible : du patriarche aux trois fils, tous sont passés par les bancs d’institutions prestigieuses– London School of Economics (LSE), ESCP Business School… Quant aux Yavarhoussen, Rupert ou Oppenheimer, ils assoient leur légitimité par des fondations éducatives, culturelles ou environnementales. Ici, le « give back » n’est pas accessoire : il conditionne la légitimité et donc la durée.


5. Préserver Les Intérêts Familiaux à Long Terme

Enfin, les groupes familiaux qui durent savent regarder au-delà des crises immédiates et transformer chaque épreuve en levier. « Il faut participer à la difficile préparation du sol, de la semence et de l’entretien des cultures pour prétendre à la récolte », souligne le Congolais Paul Obambi Jr, qui dirige SAPRO Mayoko. Ainsi les Sow ont-ils converti la CSE en
holding pour mieux répartir les risques et amortir les cycles du BTP. Quant aux Yavarhoussen, ils ont misé sur l’énergie solaire et le stockage pour sécuriser l’avenir de Filatex. Autant de trajectoires qui rappellent que, dans ces familles, la croissance n’est jamais une fin en soi, mais un instrument au service de la prospérité des générations futures.

« Il faut participer à la difficile préparation du sol, de la semence et de l’entretien des cultures pour prétendre à la récolte »



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